Laïcité et Religion.

Samedi 1er février 2003 — n° 1396

Ce titre paraît mesquin, vu l'ampleur de la réalité qu'il évoque. J'ai hésité à mettre religion au singulier, mais, finalement, le singulier exprime mieux une plénitude qu'une diversité aussi riche soit-elle. La religion est dans la nature du genre humain; c'est le courant le plus représentatif de l'activité des hommes dans le cours de son histoire. Pourtant, la société moderne a défini un concept qui entend, en quelque sorte, arbitrer le fait religieux et qu'on appelle la laïcité. C'est un article de Jean-Pierre Chevènement, paru dans "L'Express" du 16 au 22 janvier dernier, qui m'incite à faire quelques réflexions à propos de ces sujets cruciaux.

Je constate, avec grand plaisir, l'impact puissant et profond que rencontre le livre du Cardinal Lustiger intitulé "'La Promesse". Il en a été traité, trop sommairement à mon gré, dans une récente "Lettre d'inform.ation" Nous aurons , évidemment, l’occasion d’en continuer l’étude. Je connnais suffisament Jean-Pierre Chevènement pour savoir la grande attention qu'il réserve au problème religieux, tout en se réclamant d'une position purement laïque. Ayant travaillé avec lui, dans le cadre politique, j'ai toujours apprécié l'originalité de ses initiatives et, aussi, son aimable camaraderie. L'ouvrage du Cardinal, conçu dans le même esprit que le pontificat du pape Jean-Paul II, est, en effet, un livre qui bouleverse et qui marque, à mon avis, un temps dans l'histoire: comme si le passage au troisième millénaire correspondait à un moment où l'Esprit-Saint envoie un signe au peuple de l'Election, c'est à dire aux Juifs et aux Chrétiens. Aussi, Jean-Pierre Chevènement après s'être réjoui du fait que l'antisémitisme "chrétien" soit dénoncé comme un scandale, note que le Cardinal pose une autre question d'une portée plus vaste et encore plus actuelle: en quoi le rapprochement des Juifs et des Chrétiens leur permet-il de "mieux assurer leur mission à l'égard de l'humanité"? Et de continuer en écrivant: ,il me semble que, dans le dialogue inter-religieux, il y a un grand oublié c'est l'Islam... ". Il ajoute - et, personnellement, je suis bien d'accord avec Jean-Pierre Chevènement ce que je résume : Un islam souvent caricaturé, réduit à son expression fondamentaliste et surtout évoqué pour faire oublier l'enjeu du pétrole.

Je ne pense pas, bien sûr, que Monseigneur Lustiger ait oublié l'Islam, lequel appartient aux trois monothéismes mais on ne peut traiter, sérieusement, qu'un seul sujet à la fois, surtout aussi vaste et délicat que celui entrepris. Et puis - cela peut surprendre un incroyant - il ne s'agit que de la Promesse faite par Dieu au peuple d'Israël, au seul peuple d'Israël, pas à un autre. L'Election n'est pas un choix humain, c'est Dieu le Père Créateur de toutes choses qui promet et à jamais. Promesse faite après la chute d'Adam: j'enverrai un Sauveur. Le Sauveur est venu, à la plénitude des temps, en ce monde. Mais tous ne l'ont pas reçu. Accomplissant Israël et sa Loi, le Messie a fait éclater Israël à la dimension du monde et des paiens. Par le baptême de l'eau et du feu de l'Esprit, le païen devenait fils de la Promesse Juif en quelque sorte, pleinement fils d'Abraham. Une partie juive n'a pas reconnu le Messie, pourtant décrit - on pourrait dire avec quelle précision - par les prophètes tels Isaïe. Nous Juifs et Chrétiens, sommes dans l'attente, les uns de l'Arrivée, les autres, du Retour. Le dialogue entre Juifs et Chrétiens est riche de promesses, il continue ou reprend - je crois que l'on peut dire cela - le dialogue tenté par l'apôtre Paul dès son arrivée à Rome, dialogue suspendu, ce qui fut pour Paul un grand chagrin. Quels seront les résultats des efforts entrepris aujourd'hui? Dieu le sait, pas nous; mais si, dès maintenant, cette entreprise pouvait apporter plus d'esprit de justice, de paix, de fraternité, cela ne serait déjà pas si mal.

Jean-Pierre Chevènement s'interroge sur la possibilité de dépassement des dogmes entre les trois religions et pense - ou redoute - que cela aboutisse à un syncrétisme d'accord simplement sur une commune crovance en Dieu. C'est bien pourquoi le Cardinal a traité, non des religions mais de la religion Elue, c'est à dire soulignons-le encore - celle des Juifs et des Chrétiens; en fait, la même. Résoudre cette question, c'est résoudre toutes les questions et ce qui nous paraît, à nous les humains, quasi impossible est possible à Dieu. Quand ? Je l'ignore, comment ? Encore plus. Bien sûr, en laïc conséquent, Jean-Pierre Chevènement rappelle les valeurs humaines de la République comme celles des civilisations antiques, celles de la Grèce, de la latinité et celle, plus moderne, des "Lumières". Pour les chrétiens, tous ces trésors dus au génie humain sont issus de la Création, ils appartiennent au dessein de Dieu. Alors, la Rencontre attendue entre Israël et l'Eglise aura-t-elle lieu sur cette terre, après un bouillonnement - comme le suggère le Cardinal - ou au terme d'une grande tribulation? Nul ne sait; ou bien lors du Retour prodigieux du Christ? Cela est le secret de Dieu.

Il paraît établi, selon sondages et travaux récents, que le nombre ou la proportion des humains qui se déclarent hors de toute religion est de l'ordre de 22%. En même temps, on nous communique que le Danemark - qui l'eut cru? - aura dans quelques décennies, une majorité musulmane. D'où, peut-être, le désir de certains politiques de réviser la notion de laïcité. Pourquoi, ce qui représente une minorité, agnostique, certes très remuante, dicterait-elle ses lois à la majorité croyante ? La laïcité moderne - et non son expression laxiste doit aussi comprendre que la religion Judéo-Chrétienne est un rempart mondial contre les idéologies criminogènes comme le racisme issu du paganisme. Comme l'écrit Monseigneur Lustiger: "... Le Paganisme demeure jusqu'au bout une tentation, sous ses formes les plus archaïques comme les plus évoluées, la puissance que l'homme se donne à lui-même est la plus subtile et la plus moderne. Le paganisme demeure une donnée à laquelle les disciples du Christ sont constamment affrontés. " Du sein de ce paganisme sont écloses les idéologies tragiques que nous avons subies récemment. Certes les chrétiens sont fautifs et le pape Jean-Paul II a eu le courage et la foi - afin de rester fidèle à Dieu - de demander pardon, à Jérusalem même, au mur des lamentations. Oui le Christ, en Occident, a été défiguré parce que des potentats et des institutions l'ont accaparé. La chrétienté n'a pas toujours été un critère de sainteté en dépit de ses proclamations. Tout de même, elle a eu ses martyrs et ses saints. Seule l'Eglise a envoyé, partout dans le monde, ses missionnaires prêcher le Sauveur; le sol de l'Europe est semé de merveilles d'art, chantant la gloire de Dieu. Le Cardinal vit de toute cette histoire, merci à lui de nous ramener vigoureusement à nos racines. Que le Père suscite en Israël une sommité, un grand Rabin à la manière du Cardinal. Ce que l'on demande à la laicité moderne est de laisser à Dieu le soin, par le peuple de l'Election, de sauver, sur terre, tous les hommes de bon vouloir.

Dans l'attente du Royaume.

Marana Tha.

Georges Sauge.

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