Le parti socialiste : que faire ?

Samedi 15 février 2003 — n° 1397

Ce titre convient parfaitement, à mon avis, à l'état actuel du parti, ainsi d'ailleurs qu'aux préoccupations de nombre de ses militants quelque peu déboussolés. Bien sûr, ce titre peut évoquer celui, célèbre, de Lénine: "Que faire ?". Il y a quelques ressemblances entre la situation dans laquelle se trouvait Lénine dans les premières années du siècle précédent et la nôtre mais, en cent ans, l'état de la société mondiale a évolué et très profondément. Ce qui peut être vrai pour le parti socialiste, l'est, au demeurant d'une façon au moins aussi urgente, pour le parti communiste. Autrement dit, c'est l'ensemble de la gauche qui se pose la question : Que faire ? Où la ressemblance existe — mais seulement ressemblance - c'est qu'au moment où Lénine écrivit son "Que faire ?" il lui fallait choisir: se trouvant à un carrefour d'où partaient plusieurs routes il devait discerner la bonne, d'où la nécessité de privilégier, face au fourmillement de projets qui se présentaient pour résoudre la situation d'alors, une théorie unitive et révolutionnaire. Ce qu'il fit. Parmi son opposition, la principale était la fraction minoritaire dite Menchevick. Fraction éliminée et liquidée vers 1917. Mais la tâche qui consiste à répondre à la question actuelle s'avère, dans le principe, plus délicate pour le parti communiste, car lui traîne, comme une tare et un boulet, ce qui est réputé comme un échec dû à la stratégie des Etapes de la Révolution. Il lui faut résoudre le problèrne historique de sa mutation. Le problème qui nous occupe est celui du Parti socialiste, sans oublier que le parti communiste est toujours considéré comme un parti de gauche.

Lorsque, surtout depuis les jours d'avril 2002, on est attentif aux échanges et aux travaux du P.S., on est forcément déçu par le comportement de ceux appelés "les éléphants". Cependant les problèmes qu'ils traitent, politiques, sociaux et autres, sont abordés souvent avec réalisme et compétence. Personne ne peut reprocher aux élus représentants du peuple, de débattre des besoins de la société, bien au contraire. Mais, au risque d'être quelque peu brutal et irrévérencieux pour les sous-préfets, je trouve leurs échanges d'un niveau au ras des chamailleries de sous-préfectures... Je lisais, très récemment, un article dans une revue connue, lequel article se faisait l'écho de quelques "brèves de comptoir" à la buvette du Palais-Bourbon. Des barons du PS papotaient, il était question d'un peu tout mais l'Irak revenait souvent au menu: "Et si Chirac maintenait jusqu'au bout son opposition à la guerre, qu'est-ce qu'on dit et qu'est-ce qu'on fait ?" questionne l'un des barons. Silence, un long silence gêné. De toute évidence, il est difficile d'être opposant quand la majorité, par la voix du chef de l'Etat, défend la politique que soi-même l'on prône. Il est en de même sur bien des sujets et cela, aux yeux des électeurs, exprime une cacophonie regrettable.

Il y a plus grave, c'est le manque de cohérence des structures du parti; sans tomber dans l'excès, une certaine discipline pourrait être observée. Surtout, contrairement à l'esprit du Congrès Fondateur d'Epinay, il n'y a plus d'Idée, il n'y a que des idées, des courants, des coteries, voire des affrontements de personnages, en bref la division. Pour unir les autres gauches, il faut être soi-même un exemple. Et puis des fautes ont été lourdes de conséquences, des fautes qui découragent les militants, des fautes gui jettent la suspicion et le discrédit sur les hommes politiques, la politique elle-même et qui mènent à l'abandon de la citoyenneté. Une de ces fautes à retenir, commise avant la déroute de la gauche en avril 2002, est celle imputable à Jean-Pierre Chevènement. Peut-être celui-ci pouvait-il arguer fort justement de certaines faiblesses internes au parti mais son départ fut une catastrophe pour le PS, pour le pays. et pour la démocratie. J'ai entendu sa plaidoirie et sa défense, en forme d'attaque, ces jours derniers sur Europe I. Ce n'est pas convaincant. Il apparaît évident à tous les observateurs politiques sérieux que son retrait du PS, traduit en concurrence par sa candidature, à inversé le résultat d'une élection capitale. Il déplore aujourd'hui d'être désigné comme bouc émissaire, il fait même appel à René Girard; mais René Girard analyse le "phénomène" du bouc émissaire dans son principe et sa nature et non dans les conséquences d'une incidence politique. Plus important est son plaidoyer, paru dans "Le Monde" à l'heure où j'écris. Bien que compliquée, l'explication est pertinente. Mais ce qui importe en politique est d'être compris par l'opinion publique, surtout en période sensible. En bref, Jean-Pierre Chevènement a eu tort dans sa manière d'avoir raison. Sur un autre plan, le ralliement du PS à un mouvement de panique infantile, le soir même de l'élection du 21 avril, a été une atteinte portée à la démocratie. Si la réussite d'un candidat adverse entraîne la protestation de la rue, à quoi sert de voter? Pour les bonnes gens qui lisent en diagonale, le Parti Communiste, avec à peine 4% des voix, a un groupe parlementaire et Le Pen avec un pourcentage très supérieur n'a pas un seul député. Quant à Lionel Jospin qui, au triste soir du 21 avril, déclare quitter définitivement la vie politique et donne aujourd'hui l'impression d'un retour, il offre une vision discutable du milieu politique; il lui faut clarifier ses intentions. Pour ma part, j'aurais préféré qu'il n'engage pas son avenir afin de revenir au moment choisi.

Que faire? Il est nécessaire et impératif pour l'avenir du Parti Socialiste que ce dernier, sans retard, définisse une Idée-Force qui le caractérise et qui réponde, non seulement à la satisfaction pratique et sociale du peuple, mais à l'attente d'une vision nouvelle de l'Histoire. Ce qui serait redoutable pour le Parti Socialiste, c'est le vide provoqué par manque d'une proposition attractive - comme prophétique - à l'échelle de l'Histoire. Aux jours d'Epinay, nous avions au moins l'espoir de la rapture d'avec le capitalisme exploiteur mais, aujourd'hui, la politique semble à bout de souffle. Attention, !e vide demande à être comblé. Si une certaine droite guette un moment historique, une certaine gauche est aux aguets avec une expérience récente encore forte de possibilités. Il manque au Parti Socialiste ambition et enthousiasme, une définition moderne de l'attente d'un nouveau monde. Je vais sans doute choquer, voir heurter des amis, mais je pense que les socialistes, après Epinay, ont eu le tort de négliger l'apport des chrétiens. De la part de ceux-ci il n'y a rien à redouter, ni entrisme, ni complot. On a accepté facilement leurs voix, leur travail, leur dévouement, mais pas leur apport lequel représente pourtant la base même de la civilisation. L'anticléricalisme est dépassé, comme une certaine conception de la laïcité. En négligeant les chrétiens, en même temps que sont privilégiés des positions qui chagrinent, on les renvoie par dépit, avec beaucoup d'autres, vers une droite souvent extrême. Ce qu'apportent les chrétiens ce n'est ni un système, ni un endoctrinement, c'est un Message de puissance, d'équilibre, c'est une libération totale de l'homme. Le socialisme des temps nouveaux doit être accessible à cette perspective. La Révolution c'est nous, comme le disait au monde ouvrier Monseigneur Cardijn, fondateur de la J.O.C.

C'est nous qui conclurons l'Histoire par le Retour du Christ.

Georges Sauge.

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