Vérité, Justice : Quoi qu'il en coûte...

Samedi 1er Mars 2003 — n° 1398

"Qui, dans la France de l'entre-deux-guerres, notamment dans les milieux chrétiens, a compris la nature de l'idéologie communiste ? Et qui sait quoi sur les persécutions subies en Union Soviétique ? .. Que pouvait savoir le public catholique cultivé des crimes du communisme, du système communiste. "

Ces lignes, récemment écrites, m'ont fait bondir d'indignation ; je l'avoue, cette lecture je l'ai ressentie comme une blessure. Depuis longtemps déjà, je suis frappé par la quantité d'articles, d'études, de commentaires concernant cette période cruciale de l'entre-deux-guerres. À chaque fois les mêmes oublis, les mêmes erreurs sur la question importante des idéologies dites du passé, on n'en finirait pas de recenser la somme considérable de ces écrits dans la presse, dans les livres, dans les revues. Si je retiens les citations mentionnées plus haut, c'est justement parce qu'elles sont publiées par un magazine sérieux, très estimable, auquel on ne peut que souhaiter un succès durable. De plus, il est dirigé par des gens certainement sincères et honnêtes. Seulement, les responsables de "Histoire du Christianisme" tel est le titre de ce magazine - sont, de toute évidence, dans l'ignorance des conséquences et des retombées d'un certain malaise qui troubla trop longtemps les milieux catholiques. Pour me faire bien comprendre, je résumerai, en quelques phrases, mon histoire personnelle qu'à la demande de mes amis je viens de rédiger. Je m'en excuse mais je pense que ce témoignage peut éclairer la situation évoquée précédemment.

Dans les années 1936-1937 donc, relevant d'une maladie grave, élevé dans une famille fort respectable mais très loin de l'Eglise, révolté, j'étais attiré par la Jeunesse de l'Avant-garde Marxiste, Jeunesse conquérante qui chantait son désir de changer le monde "en descendant sur le pavé". À cette époque sans télévision, ni presque de radio, les journaux étaient très lus et la "réunion publique et contradictoire" faisait fureur avec son lot d'empoignades et d'invectives. Maurice Thorez, nouveau dirigeant du Parti Communiste, venait de tendre la main aux travailleurs catholiques. Un fait insolite troublait pourtant le parti communiste en pleine ascension. En effet, un "curé" en soutane, ne se contentant pas de parler dans les seules églises, abordait les tribunes populaires et - fait nouveau dans le paysage politique animé par des orateurs et tribuns porteurs d'idéologies - ce curé, affrontait avec grand succès une opinion publique friande des polémiques se rapportant aux grands courants en vogue Entraîné par des camarades, je me rendis donc à une réunion de ce célèbre "curé". Je m'attendais à un pieux arrosage à l'eau douce, au ton compassé et consolateur. Ce fut la tempête, le choc. Le communisme fut démonté, mis en relief dans sa donnée fondamentale, dans sa stratégie, plus encore dans sa nature dialectique élaborant comme une nouvelle eschatologie concurrente du christianisme Le communisme historique prétendait s'emparer du monde en devenant maître et pilote de l'Histoire. Je vous comprends - dit le "curé" - je loue vos aspirations mais, pour atteindre ce paradis, vous vous êtes trompés de porte. Et voici que je vous ouvre la bonne. Évoquant l'image puissante de l'apocalypse, ce fut la description de la Jérusalem céleste, descendant ici-bas afin de changer la Terre et l'Histoire, car le seul Sauveur de ce monde est le Seigneur Jésus-Christ. Je me croyais en avant, je découvris que j'étais loin derrière; mes rêves d'alors abolis, ce soir-là ma vie fut changée. L'auditoire communiste était pantois, l'espoir précaire du paradis communiste s'estompait devant l'Espérance qui est certitude du Royaume de Dieu.

Ces auditoires rassemblaient les couches populaires ; pour la première fois dans leur existence, le Message du Christ dans sa totalité leur était révélé, sans précautions sociales ou de milieux. Des meetings semblables à celui présenté, plus haut, se tinrent à Paris et en province. Rien que dans la Région Parisienne, toutes les grandes salles réunissaient des milliers de personnes enthousiastes, des curés se groupaient en paroisses pour organiser des réunions à Wagram, à Magic-City, à la Mutualité, au cirque d'hiver, aux mairies de Montreuil, de Noisy le Sec, de Saint-Denis. Les grands ténors du communisme s'essayèrent à contredire le "curé", même - fait significatif - un nazi vint d'Allemagne pour se joindre aux contradicteurs, c'était en 1939 à la mairie du 9ème arrondissement. Alors, pour répondre à la question posée en tête de ce texte : Qui, dans la France d'entre-deux-guerres a compris la nature du Communisme ? Je réponds en vérité, afin que justice soit rendue, je réponds sans trop de forfanterie, "nous", ... c'est à dire le père Fillère et ses compagnons dont certains provenaient de sa pêche. Car si le père Marcellin Fillère, Mariste, professeur de Psychologie Sociale à l'institut catholique de Paris, n'avait pas pris une telle initiative avec le plein accord de son Evêque, le Cardinal Verdier, on pourrait aujourd'hui en 2003 se poser la question : Qui ? Si j'ai bonne mémoire, à l'époque, je n'ai rencontré personne tenant ce langage. Certes le père Fillère, qui avait le sens de l'Unité dans l'Eglise, qui avait assisté à l'entrée des Ballilas de Mussolini à Rome, la ville de Pierre, ne fut pas le seul à bénéficier de la richesse de l'Eglise et des textes pontificaux mais il fut le seul, à l'époque, à savoir en traduire publiquement toute la signification historique dans le futur des temps. Il fut le seul à en exprimer la puissance et la splendeur devant les foules. En cela il fut l'éveilleur, le spécialiste du grandiose et de l'Universel... Sa manière à lui de tendre la main aux communistes. Même si son temps fut aveugle, ceux des temps futurs salueront sa perspicace passion et son exceptionnelle originalité.

Alors, passer en revue toute une époque en citant de nombreuses personnalités, sauf lui, est un vrai scandale. Je ne veux en aucune façon, minimiser l'action de nombreux acteurs méritants de cette époque, Jésuites et Dominicains, bien sûr. Le père Fessard, lors d'un dîner clôturant une session d'études, me rappela, peu après le décès du Père Fillère, combien son œuvre avait été féconde. En particulier, son développement de l'aspect prophétique si nécessaire à toute entreprise d'Evangélisation. Que des historiens, journalistes, écrivains, dissertent sur une époque dans l'ignorance de l'acteur principal est confondant. Comme si on parlait du communisme en oubliant Lénine ! "Histoire du Christianisme" dans son étude sur le père Fessard, étude intitulée "le prophète baillonné" déplore le silence consternant qui le concerne. Cela est vrai, un autre prophète lui, fut et reste silencié, c'est tout aussi consternant. Nous pouvons fournir des documents intéressants de cette époque afin d'instruire nos modernes enquêteurs.

Une démarche, soucieuse de Vérité et de Justice, serait celle d'historiens qui, enfin, nous expliqueraient pourquoi, ces prophètes inconnus furent "oubliés". La recherche des raisons profondes ayant motivé ces "oublis" comblerait, quoi qu'il en coûte, l'attente de beaucoup. Les leçons du passé doivent servir pour le présent et le futur. Bien des blessures en seraient apaisées, même au prix - comme l'écrit si bien, en conclusion "Histoire du Christianisme" - même au prix d'une repentance.

Que le Seigneur nous pardonne et nous bénisse.

Georges Sauge.

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