Staline, encore...

Samedi 29 mars 2003 — n° 1400

I1 arrive que 1'on reproche à certains - dont nous sommes - de traiter encore du communisme lequel, fait bien établi, s'est effondré en même temps que s'écroulait le Mur de Berlin. Or, l'actualité contredit souvent cette opinion, si l'on en juge par les commentaires de tous genres qui, inlassablement, de la presse écrite à la télévision, des revues aux cinémas, évoquent longuement, les idéologies d’hier réputées obsolètes. Curieusement, c'est au moment où, par le biais de la guerre Amérique-lrak, - scandale pour l'Amérique - qu'on se rappelle le 50ème anniversaire de la mort de Staline dont le nom seul ramène aux horreurs de la dernière guerre perpétrée par le Nazisme et le Communisme.

Beaucoup de choses ont été dites et écrites, tant sur Staline que sur le Communisme. Le numéro spécial du Journal " Le Monde " consacré au célèbre dictateur, témoigne de l’importance que l’opinion publique accorde au drame qui a dominé le 20ème siècle. Il est dangereux de réputer mort ou dépassé, un sujet qui agite l'ensemble des nations. C'est pourquoi nous expliquons régulièrement que les idéologies d'une telle puissance, comme celles qui ont nourri Nazisme et Communisme, sont en résurgence possible. Nous constatons également, que le talent certain des philosophes, journalistes, et historiens ont beaucoup de mal à savoir exposer, dans sa logique et sa perversité fascinante, la théorie Marxiste dans son intention réelle. Issus pour beaucoup des Universités "bourgeoises", nos analystes en restent justement trop à l'analyse alors qu'il s'agit de décoder une fresque. Les raisons profondes qui firent d'un tyran monstrueux comme Staline, un séducteur de foules, résident dans le fait que des hommes comme Marx, Lénine, Trotski et Staline lui-même surent traduire en Histoire le rêve inconscient des écrasés du monde et des exploités par les potentats du capitalisme. Ces gens pensaient : "débarrassés du capitalisme et de tout ce qui faisait autrefois leur servitude, les hommes seront des hommes nouveaux". Telle est la conclusion d'un cours de première année de Marxisme destiné aux nouveaux militants. Un tel langage laisse des traces, les statistiques nous apprennent qu'une moitié au moins du peuple russe, lequel a pourtant subi - et de quelle façon tragique - la cruauté barbare de Staline en particulier, garde souvent une image positive et du dictateur et plus encore de la dictature.

Ce qui est grave, c'est qu'en dépit du gigantisme des massacres dus à la théorie criminogène élaborée par Marx et Engels, le communisme, finalement, est admis, comme protégé par une malice aussi efficace qu'irrationnelle. Car c'est un fait que le communisme n'est pas considéré comme aussi pervers que le Nazisme. C'est vrai dans l'ex. URSS mais également dans le monde entier et, bien sûr, chez nous en France. Les preuves abondent. Je n'ai nullement l'intention de plaider en faveur des tourmenteurs sadiques et imbéciles qui déconsidérèrent l'armée française durant la guerre d'Algérie, mais les communistes arrêtés - que l'on répute victimes - étaient ennemis de la France et leur combat n'avait rien à voir avec l'anticolonialisme dont ils se moquaient comme d'une guigne; leur engagement s'inscrivait dans un mouvement d'agitation d'un plan ordonné. Plus actuel, je lis dans la Revue Ciné Nouvel Obs de mars, I'histoire "d'une femme d'idéal". Il s'agit d'une brave Italienne de quatre-vingt-onze ans qui vit dans l'Isére depuis 1922. Militante communiste, comme ses parents, elle se plaint que de 1939 à 1942 ses papiers lui aient été confisqués. Elle oublie, tout de même, qu'en 1939 c'est elle qui adhérait aux menées de Hitler par pacte germanosoviétique interposé, que Maurice Thorez mobilisé, désertait devant Hitler le nouvel allié pour se réfugier à Moscou et que le Parti communiste fut dissous par le gouvernement français à l'époque du président Albert Lebrun.

On a beaucoup disserté sur les raisons qui poussèrent Staline à pactiser avec Hitler. On voit assez clairement celles de Hitler qui lorgnait l'élargissement du fameux espace vital vers les grandes plaines de l'Est. Celles de Staline, rusé, tortueux, dissimulateur sont plus difficiles à éclaircir. L'homme était secret mais savait aussi séduire, le général De Gaulle lui-même, trouvait en Staline "un charme ténébreux". Les raisons Staliniennes du pacte germanosoviétique sont nombreuses mais pas toujours convaincantes, malgré ce que nous apprend 1'ouverture récente de certaines archives. Staline pressentant un affrontement avec l'Allemagne, voulut-il tenter d'exploiter le nationalisme racial du Nazisme ? On sait que ce problème de race et de nationalité l'intéressait depuis longtemps, depuis 1913 lorsqu'il écrivit un livre intitulé justement "Le Marxisme et la question nationale", livre qui lui valut les félicitations de Lénine. Ce qui explique aussi sa détermination de reléguer à plus tard la "Révolution permanente" prônée par Trotski. La seule défense de l'URSS lui apparaissant comme seule valable face à l'événement ? Comme toujours en dialectique matérialiste la tâche immédiate prime l'idée. La projection de l'idée dans l'acte trouve son application en des circonstances difficiles. Qui avait raison de Staline ou de Trotski ? Comme disent les Communistes conséquents: "L'histoire jugera!". La réponse que donnent souvent les communistes pour justifier cet épisode empoisonnant leur passé c'est que Staline, le futur vainqueur du Nazisme, symbolisé par la bataille historique de Stalingrad, a voulu gagner du temps pour préparer l'Armée Rouge à cet affrontement. C'est possible et non contradictoire avec l'idée secrète "d'assimiler" d'une certaine façon, le nationalisme de "la Race pure". Seulement l'argument est redoutable et dangereux, pour le Parti communiste français en particulier. En effet, si Staline, en stratège avisé - et admettons, pour faire court, ses raisons - a effectivement gagné du temps, même si, au détriment de son peuple affamé il a livré des vivres à l'Allemagne Nazie, du blé par centaines de wagons, il est allé loin dans la collaboration avec Hitler : Plus horrible que de livrer du blé, il n'a pas hésité à livrer aux nazis de vieux bolcheviks allemands. Et en "cadeau" il a offert à la Gestapo la femme de son ami Buber-Neumann qu'il a, préalablement, fait fusiller. Pourtant lorsque Staline a signé le pacte il était libre, lui, non en état de guerre; son territoire non occupé, ce qu'il donnait aux Nazis, le blé et ses amis, étaient des cadeaux, non des réquisitions... Le Maréchal Pétain, en 1940, était dans une France envahie, désarmée, la liberté n'existait plus, les vivres réquisitionnées comme l'industrie. Pourquoi le vieux Maréchal, n'aurait-il pas été aussi rusé que Staline ? Pour gagner du temps et attendre des jours meilleurs ? Cela dit -qui ne saurait être de quelque complaisance de notre part envers le régime de Vichy - pour démontrer que l'Histoire est difficile à comprendre, à interpréter. Il faut beaucoup de prudence pour juger des événements relatifs à des époques si troublées.

Staline restera pour nos générations un Dieu Rouge, le Janus romain, un Dieu à deux visages: d'un côté un vainqueur du Nazisme Hitlérien et de l'autre un dictateur odieux que rejetteront les modernes communistes en faveur de Lénine et Trotski représentant prétendument le communisme à visage humain de demain... Ainsi Staline continuera à servir la marche du Marxisme historique. Certes il est utile, indispensable même, d'approfondir les agissements et leurs raisons qui détermineront Staline à prendre des décisions qui ébranlèrent le monde. Et ce monde peut encore en subir les effets tant la vitalité des idéologies demeurent vivaces et en couvaison. Autant que les grandes analyses "les petits faits" - comme ceux de la vieille italienne évoqués plus haut - sont significatifs et révélateurs d'un phénomène sociologique. Communisme et nazisme ne sont pas - et cela est inquiétant - à l'estimation générale, sur le même plan. Si l'on trouvait une mémé, du même âge que la mémé communiste, ancienne nazie comme celles que l'on voyait déambuler dans le Paris occupé et qu'on appelait, à cause de la couleur de leur uniforme "les souris grises", le "Nouvel Obs." parlerait-il d'une "femme d'idéal" dans ses colonnes ? J'en doute. On parlerait plutôt - ce qui serait juste - d'une vieille dame indigne. C'est cet état d'esprit qui est redoutable pour demain. Comme le conclut, I'historien Russe Nikita Pétrov dans le "Monde" et je résume: "Bien sûr, on peut continuer à se nourrir de mythes. C'est tellement plus simple et plus commode. Mais cela signifie que le terrain pour un nouvel avènement de ce que représente Staline, est déjà préparé ".

Que Dieu nous protège d'un tel retour.

Georges Sauge

Retour