Ecclesia in Europa.

Samedi 27 Septembre 2003-n°1406

Ce titre est celui de l'exhortation apostolique, adressée au monde par Jean-Paul II et publiée le 29 juin dernier, en la fête des Saints Apôtres Pierre et Paul. Ceux que l'on appelle les Colonnes. Ce n'est pas un hasard, le monde a un besoin urgent de colonnes, et l'Europe, la vieille Europe berceau de civilisation, peut-être plus que d'autres continents. Extraordinaire ce pape, déconcertant pour certains, il est la consolation d'un grand nombre, dont la jeunesse des nations. Ses audaces, comme ses courageuses initiatives ne peuvent être comprises que de ceux qui ont la foi, qui connaissent la puissance de la prière, de ceux écrasés par les épreuves, l'infirmité, la faim, la pauvreté. Cette partie de l'humanité se reconnaît en cet homme abattu en son corps et qui reste même pour des incroyants, le seul homme debout qui éclaire le monde comme le phare éclaire, dans les ténèbres, la mer déchaîner.

Ce document, "l’Eglise en Europe" est un document majeur, à l'heure où se joue son avenir et, peut-être, celui du monde. Jean-Paul II dresse un tableau pessimiste de la société, tout en rappelant la vertu d’Espérance et le souhait de jours meilleurs. Sans verser dans un pessimisme excessif, j'ai crainte - mais c'est une crainte toute personnelle - que comme souvent dans le passé, les chrétiens auxquels s'adresse d'abord ce Message, n'en retiennent que les "bons passages". Et combien l'auront lu ? combien, aussi, l'auront entendu commenter à la messe dominicale ? Or ce que dit le pape est de nature à ébranler l'assemblée des fidèles; les évêques d’Europe, alarmés, avaient fait part de leurs inquiétudes au Synode européen de 1999. Il serait grand temps que le peuple fidèle s'émeuve à son tour, le laïcat chrétien en particulier. Certes comme nous le rappelons sans cesse, L'exemple et la prière, l'action caritative, le souci du social sont les exigences fondamentales de la vie du chrétien. Mais l'Apostolat ne se limite pas, surtout pour notre temps, à ces seules œuvres, L'Apostolat se prolonge et s'exerce par la parole et la présence active dans la vie politique.

Que l'on réalise bien le drame de notre société, que l'on prenne conscience de la tragédie qui nous détruit: nous sommes en état "d'apostasie silencieuse". Ce qui signifie l'abandon, le départ souvent honteux de la communauté qu'est l’Eglise du Christ, avec les reniements que suppose une telle désertion. D'abord la perte de l’Espérance, l'égarement en tous les domaines et les évêques constatent cette "vague d'agnosticisme pratique. Beaucoup d’européens vivent sans terreau spirituel, comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur avait été légué". De plus, la perte de la mémoire chrétienne s'accélère, les traces profondes du christianisme seront bientôt des vestiges du passé, comme le dit Régis Debray: "la Trinité ne sera bientôt plus qu'une station du métro parisien". Donc le christianisme est menacé et mis au défi, dit le pape. Il est bien vu, élégant et passe pour libéré, de se dire athée ou agnostique. Se dire croyant demande maintenant des explications. C'est donc aux Eglises que s'adresse un pape alarmé afin que le peuple de Dieu se ressaisisse, qu’il refasse son Unité, afin de pouvoir Evangéliser.

Infiniment grave est la remarque combien angoissée du pape: "L'oubli de Dieu conduit à l'abandon de l'homme". C'est alors le "vide intérieur donc perte de la vie, abandon de la natalité, refus des choix définitifs, mariage ou sacerdoce. C'est partout la lutte fratricide, le malheur de la solitude, l'égoïsme, l'incertitude, le désarroi, l'angoisse. " J'ajouterais la perte de la citoyenneté, l'abandon de la politique et de toute vie civique, donc le repli sur soi, la vie sans attente de grandeur, de beauté, on refuse de camper sur les hauts lieux. "

Le pape dans ce contexte d'affaissement demande aussi aux chrétiens fidèles d'éviter le relativisme le syncrétisme. Le relativisme, en effet, tient pour essentiel que les valeurs premières dépendent des individus, des sociétés, surtout des époques, du temps que nous vivons, ces valeurs ne peuvent donc être proposées comme normes universelles. Le syncrétisme tend à provoquer une fusion de tous les mouvements de pensée et de religion; toutes les religions se valent entend-on de plus en plus. Nous reviendrons sur le syncrétisme, redoutable pour la foi. Il projette le rêve d'une super religion.

Alors surgit la "dispute" au sujet du projet de Constitution pour l’Europe. Cette Constitution doit-elle faire référence à l'héritage chrétien? Non, répondent beaucoup sans arguments très convaincants; Pour une Constitution sans Dieu, se déclare Rita Thalmann, historienne, aux prétextes que des hommes nombreux se battent au nom de Dieu, donc mieux vaut la laïcité. J'ai très souvent répondu à ce genre d'argument, je retiendrai simplement aujourd'hui son plaidoyer pour la laïcité qui n'entrave en rien - dit-elle - la liberté des cultes, comme le reconnaît, dans le projet Constitutionnel de l’Europe l'article 51. A la lecture, cet article me semble aussi timide que sans grande portée. Pour les chrétiens la liberté des cultes ne suffit pas. Cette dite liberté est souvent un piège; ce qui compte c'est l'annonce publique de la parole de Dieu, la prédication en plein vent de l’Evangile. L'absence de référence à l'héritage chrétien dans le projet de Constitution Européenne - déclare Jean-Paul est une injustice au regard de l’Histoire. "A partir de la conception biblique de l'homme, L'Europe a forgé sa culture humaniste dans ce qu'elle a de meilleur". On peut dire aussi que les racines visibles et merveilleuses du Christianisme parsèment les terres d’Europe. Nier cette évidence revient à voler à l’Europe l’Histoire de son héritage le plus précieux et fondement de son avenir.

Aussi l'appel du Pape Jean-Paul est-il solennel d'une portée immense en profondeur et universelle dans son étendue. "C'est nous qui sommes mis au défi et menacés" nous prévient le Père commun des fidèles. Interrogeons-nous donc pour répondre au Pape: Sommes-nous en état de représenter une force cohérente tant dans notre pays qu'en Europe? Sommes-nous équipés pour une présence en politique? Sommes-nous suffisamment formés pour nous insérer dans les dialogues avec les autres religions sans tomber dans le syncrétisme redouté par le pape? Avons-nous pour répondre au défi lancé p~ "l'Esprit du Monde", le sens de l'Unité et de la mission prophétique de l'Eglise du Christ? Trouvons le courage de répondre à ces questions avant d'aborder en situation, la Nouvelle Evangélisation. Il nous faut découvrir aussi la vertu d'enthousiasme, et témoigner de notre certitude que le Christ est le seul Sauveur de l’humanité. Retrouvons l'abnégation et l'audace des premiers chrétiens et, comme eux, montrons des gueules de sauvés.

Europe, résiste aux tentations. Souviens-toi de tes racines. Hausse les linteaux au-dessus des portes ouvertes. Cultive le terreau de l'Héritage où est plantée la Croix glorieuse. Par ce signe tu seras toi.

Georges Sauge

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