Voile sur la laïcité

Samedi 17 Janvier 2004, N°1412

La laïcité est un des grands sujets qui dominent l'actualité sociale et politique de notre temps. Sont en jeu des problèmes fondamentaux et sûrement déterminants pour l'avenir de notre société, laquelle est affrontée à des nouveautés aussi graves et vastes que la mondialisation, la constitution Européenne, I'expansion de l'Islam, la Paix. Il faut bien comprendre qu'à la base des grandes questions qui agitent notre époque, la religion est prépondérante. Je parle religion au singulier afin d'en souligner l'importance dans sa plénitude mais en tenant compte des expressions et manifestations nombreuses qui témoignent de ce fait unique et mondial. Des magazines et des revues, à l'occasion des fêtes de Noël et du Jour de l'An, publient études et commentaires sur le fait religieux dans l'Histoire, son importance primordiale au point même d'affirmer que ces religions sont causes de guerres, de conflits, de disputes comme d'incompréhensions. En conclusion - étonnante, paradoxale - de ces articles: la religion est déclarée affaire privée. Par quelle aberration peut-on concilier deux concepts aussi contradictoires ? Si le fait religieux est responsable de toutes les avanies de ce monde, comment le réduire à une affaire privée personnelle ? Là, gît, à mon avis, la faiblesse intrinsèque de la laïcité, incapable de se définir comme valeur positive. Cette difficulté interne jette un voile sur sa capacité de vouloir résoudre les difficultés des autres. On voit très bien ce "contre quoi" ou "contre qui" s'élève la laïcité, on aperçoit mal son contenu positif, son "pour".

Il n'est pas question ici de raviver un passé controversé et, encore moins, d'envenimer un débat difficile. Bien au contraire, il faut dialoguer dans la sérénité, débattre dans la recherche de la paix et de la liberté pour tous. Sans oublier de respecter l'autre afin de vivre l'amour et le pardon. Ces conditions ne sont pas toujours faciles à observer, il faut faire preuve d'humilité, d'ouverture et, lorsque c'est possible... d'intelligence. Ces préalables posés, il s'agit aussi d'exprimer ses opinions avec clarté, de ne pas esquiver les questions difficiles. Les chrétiens, et d'abord ceux qui ont opté en politique, ont, en ces moments cruciaux, une responsabilité particulière. Selon l'expression heureuse de Jacques Julliard du "Nouvel-Obs." je dirais que - en ce qui me concerne - je suis un "socialiste religieux". Pour moi, comme pour mes amis, le religieux est premier et, pour continuer dans le vif du suet, je pense que, pour les tenants de la laïcité, la difficulté majeure - et je la comprends d'autant mieux que je l'ai autrefois vécue - est de se placer dans la perspective de ceux qui croient en Dieu et plus encore de ceux qui ont la foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu.

Lorsqu'un être vit une telle plénitude, découvre une telle beauté de la Vérité révélée, une telle splendeur dans la logique inspirée des textes bibliques et sait surtout que cette nourriture est essentielle pour la Paix dans le monde, pour l'amour des autres, comment voulez-vous, amis, qu'un tel être rempli d'une telle puissance, d'une telle grandeur se contente sans chagrin de la mesquinerie et de la neutralité du privé. La religion n'est pas la cerise qu'on met sur le gâteau, elle est la farine qui fait le gâteau. Dieu n'est pas une opinion. Et lorsque certains pour justifier la laïcité s'en réfèrent à Jésus qui déclare, répondant à une question se voulant maligne, qu'il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, ceux-là doivent aller jusqu'au bout de la signification du message de Jésus: Que César, représentant un ordre public, soit en accord avec cette nécessité d'ordre avec les chrétiens, rien n'est plus évident. Mais lorsque César s'identifie avec son effigie frappée sur sa monnaie et qu'il se confond avec cette monnaie, il se déifie et devient Mammon: I'argent-roi. Dans ce cas, il convient d'être réticent. Ce qui compte dans la parole de Jésus, est que César n'est pas un être à part, comme exclu du genre humain, César lui aussi appartient à Dieu et les chrétiens qui étaient, dès le temps de Saint Paul dans la maison de César, devaient s'efforcer de le convertir. Quelle que soit la nature du gouvernement de César, les chrétiens ¦uvrent toujours pour l'ordre public, le bien commun, la sécurité. La dictature, la persécution, les humiliations, les chrétiens assument ces épreuves avec courage, non avec résignation. Ils ne cherchent pas le Martyre. Ils savent que la vie ne s'interrompt pas ici-bas. Ils attendent le Royaume du Père. Contrairement au monde moderne s'estimant libéré, les chrétiens ne croient pas au "Père Noël".

Pour toutes ses raisons, les chrétiens, avec réalisme, se sont accommodés de la loi de 1905. On admire souvent ceux qui exaltent la Mémoire, ce qui n'est pas toujours le cas en France chrétienne. N'oublions pas ceux qui, il y a quelque cent ans, ont eu le courage d'affronter les outrages des gouvernements anticléricaux qui n'hésitèrent pas à exiler des Françaises et des Français, aux prétextes les plus discutables. Un tel scandale, un tel bégaiement de l'histoire est toujours possible même de nos jours. Les évêques et les représentants des autres religions ont eu raison d'être réticents vis-à-vis d'une nouvelle loi qui ne peut rien résoudre. L'Islam n'est pas le christianisme. Ce qui fut possible hier avec l'Eglise Catholique est difficilement concevable de nos jours, compte tenu du contexte international. A ce niveau, les chrétiens devraient être présents, plus présents qu'ils ne le sont dans le monde politique. Des chrétiens formés, rompus aux pratiques modernes de gouvernement, des chrétiens sachant discerner les temps, ainsi que la nature des courants de pensée et des idéologies toujours aux aguets. Une connaissance approfondie de tous ses aspects de la société de la part des chrétiens contribuerait à rendre efficace la charité politique, laquelle éviterait à certaines populations les épreuves du totalitarisme. Le christianisme se doit de former de tels responsables politiques. Ainsi, à propos de l'Islam, d'un voile coutumier, et des nombreuses formations connexes, il importe de distinguer entre le grand nombre de musulmans qui viennent en France, ou en Occident, afin de trouver un travail leur permettant de vivre décemment - ceux-là doivent bénéficier de notre accueil le plus fraternel - et une minorité suspecte. Il faut savoir en effet que la minorité agissante arrive toujours à orienter la masse vers une projection dans l'avenir, vers un but à atteindre. Il s'agit donc de se méfier davantage d'une formation ascendante, même si elle est réputée dérisoire et extrémiste, que d'un parti gêné par sa lourdeur, même si sa surface est réputée apparemment imposante.

Le discernement en politique, à l'heure qui est la nôtre, consiste donc à ne pas confondre l'immigration saine et l'invasion stratégiquement ordonnée. Car même la minorité qui encadre l'Islam est, elle-même, encadrée par des forces d'envergure révolutionnaire agissant dans toutes les parties du monde. Une laïcité moderne, bien repensée, doit être à même de comprendre le rôle primordial que peut assumer la religion pour protéger la civilisation des entreprises dissolvantes; entreprises que nous dénonçons depuis longtemps en expliquant la nature de ce plan infernal. Il est urgent d'expliquer les fondements de la Menace, calmement, clairement, avec nuance.

Justement je lisais, ces jours derniers, les déclarations faites par le nouveau Cardinal Jean-Louis Tauran, suite aux questions de journalistes. Lui qui a dirigé pendant longtemps la diplomatie du Saint-Siège, se réjouissait des confidences des diplomates de toutes nations, lesquels appréciaient la clarté et les nnances propres à la langue française. Et le Cardinal donne lui-même un exemple savoureux de la souplesse de notre langue par une réponse au sujet de la spécificité de la laïcité à la française: "Je dirais que si l'on peut séparer l'Eglise de l¹Etat, on ne pourra jamais séparer l¹Eglise de la société".

Tout dépend donc de l'Evangélisation de cette société, ainsi pourrait se dégager une nouvelle laïcité qui ne soit pas d'abord une laïcité du refus mais une laïcité ouverte à toute la liberté: Alors, son voile lui serait ôté.

Georges Sauge

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