Le Pape et sa Mission

Samedi 31 Janvier 2004, N°1413


     La religion reste le sujet le plus débattu de l'actualité. Presse, radio, télévision n'en finissent pas de présenter la laïcité comme la solution seule capable d'établir la paix et la concorde dans un pays. Certes, on parle beaucoup de la spécificité de la laïcité à la Française mais, en fait, cette question concerne tous les pays, même si chaque Nation agit suivant son originalité propre. Aussi le discours du Pape adressé, à l'occasion des vœux de Nouvel An, au Corps Diplomatique venu lui présenter ceux de 174 pays, ne saurait concerner que la seule France. Sans doute le Pape a parlé en Français - lequel français est la langue diplomatique - mais les allusions prétées au Pape s'expliquent parce que le cas de la France est typique par la manière dont le sujet délicat de la laïcité a été traité, sinon résolu; de plus nous avons une longue histoire, souvent surprenante - voire déroutante - sur bien des points.


      Le Pape a bien souligné qu'il ne fallait pas confondre laïcité et laïcisme, ce dernier étant la forme maximaliste et militante de la laïcité. Si cette laïcité a peu de contenu positif, le laïcisme, lui, est la base de l'anticléricalisme. Ce qu'il a bien prouvé, particulièrement de 1880 aux années 1905. Le Pape refuse la distinction entre la foi - réputée affaire privée - et l'engagement public au nom de cette foi. Les croyants, en tant que tels, ont toute leur place dans les affaires publiques. Or, si la loi consent - et sur ce plan, l'accord est général - à reconnaître des droits aux individus, il n'en est pas de même - dit le Pape - au fait religieux, c'est-à-dire à sa dimension sociale. Et monsieur Borloo, ministre de la Ville de l'actuel gouvernement Français soulignait cette difficulté, lors d'un récent débat sur France 2, en faisant remarquer que les religions monothéistes, la Catholique en particulier, entendaient précher, et convertir, d'où la tentation, traduite en décision, de considérer la Religion comme affaire privée. Les tenants de cette position - du moins admettons-le pour certains - font du Communisme sans le savoir, à la manière dont Monsieur Jourdain faisait de la prose. Lors d'un des premiers congrés du Parti Communiste, réuni à Erfurt en Allemagne, lorsque les congressistes s'apprétaient à déclarer la religion "affaire privée", Lénine bondit à la tribune pour préciser la position communiste: la religion doit étre séparée de l'État et considérée comme privée afin de mieux la surveiller et lui retirer tout bénéfice public. Mais, pour nous, continuait-il, notre attitude conséquente avec nos principes est de la combattre vigoureusement par la Propagande. C'est la pensée sous jacente de beaucoup de politiques actuels, la brutalité peut-être en moins, soit, mais l'insidieuse et subtile lutte antireligieuse demeure. N'oublions pas les persécutions atroces du 20 éme siècle. Ce qui débute en subtilités peut, en certaines circonstances, dévier en sauvageries.


       Les débats publics et privés d'aujourd'hui témoignent de la difficulté extrême du dialogue avec l'Islam. Pour rendre un tel dialogue positif, il faudrait extirper de l'Islam l'encadrement idéologique qui paralyse tout aboutissement valable et fiable. Ces filles voilées qui viennent débattre sur les plateaux, prétendant donner des leçons de liberté, en appeler aux Droits de l'Homme, sont pour la plupart des agitateurs bien rodés à la parole publique; on relève dans leurs interventions, comme dans leur style, des tics qui trahissent leur formation d'origine. Si leurs intentions avaient toute la pureté souhaitable pour de telles démarches, ce n'est pas en cette France qui les acceuille en leur offrant toutes les gammes de propagande qu'elles exerceraient leur talent, mais dans les pays où les Droits de l'Homme - et plus encore ceux de la femme - sont inconnus, où lapidations, énucléations, mains sectionnées sont monnaie courante. Heureusement que chez nous les rigueurs des années 1905 sont dépassées sinon - comme on le fit pour des religieux - tous ces gens-là seraient exilés dans des régions où leurs interventions seraient salutaires et urgentes. I1 faut le dire calmement et fermement, une telle atmosphère ne peut qu'engendrer une vague d'islamophobie très préjudiciable à la securité de notre pays. Répétons-le, il ne faut pas confondre l'Islam de travailleurs souvent exploités, et l'Invasion d'agitateurs, exploiteurs d'une situation historique.


     La tâche du Pape, en ces circonstances mondiales, est ardue mais il l'affirme, il continuera d'assumer sa mission tant que Dieu ne la lui reprendra pas. Alors on parle déjà de son bilan, de ses réussites, de son courage, de ses innovations mais aussi de ses échecs, ou prétendus tels et, bien sûr, de son éventuel successeur. Ce qui est plaisant - si ce n'était si pénible, c'est de voir que ces problèmes sont bien plus souvent abordés par des non-croyants - voire des adversaires - que par les chrétiens. Les tenants du principe "Religion affaire privée", n'en finissent pas de discourir ou d'écrire publiquement sur la mission du Pape. Bien sûr le bilan "reconnu positif" est habilement contrebalancé par les aspects considérés par ces critiques comme négatifs. Dans ce cas, le brillant Jean-Paul II devient, sous la plume experte des commentateurs, le "Vieux Pape", celui qui est en retard sur la modernité, on souhaiterait que ses réformes internes à l'Institution Eglise aient l'ampleur de ses voyages. Si on met à son crédit une bonne part de l'effondrement de l'URSS et du Mur de Berlin, on aimerait des progrès significatifs au sujet de la contraception, de l'interruption volontaire de grossesse, de l'ordination des femmes, du mariage des prêtres, du divorce; bref, on voudrait le Pape innovateur sur le dogme comme il l'est en diplomatie. C'est un orateur puissant, un manieur de foule, un acteur chevronné qui sait utiliser les paroles comme les silences, toutes ces louanges pour conclure avec une perfidie certaine: "les foules préfèrent l'acteur à la chanson". Ce qui est faux et malhonnête. Les foules qui se pressent partout dans le monde aux rendez-vous du Pape, toute cette jeunesse qui déferle sur les routes pour le rejoindre viennent s'abreuver à la parole de vie qui est celle de Dieu et de son Fils Jésus-Christ et si le spectacle des talents du Pape Jean-Paul porte cette parole, c'est que la beauté rejoint la Vérité. Les chrétiens et toutes les intelligences lucides de ce temps voient en cet homme cassé par les épreuves, le géant qui résiste à la décadence comme à la chute des valeurs essentielles qui constituent les bases d'une civilisation. Aucun homme sur cette terre ne réunit autant de foules de toutes races, de toutes classes, de toutes conditions, de tous âges. Reste avec nous Wojtyla - suppliait un Juif clairvoyant - c'est presque la même supplication des désemparés d'Emmaus qui, au soir couchant, demandaient au voyageur qui les avait rejoints "reste avec nous, il se fait tard" On comprend la jalousie des décideurs de ce monde face à cette grandeur.


     Beaucoup d'hommes, de femmes, de jeunes, de pauvres, savent que le Pape est toujours un don de Dieu. Même si certaines circonstances de l'Histoire obscurcissent sa mission, il est parmi nous l'homme assisté par l'Esprit-Saint qui témoigne de la présence du Christ et de son Eglise. Par Pierre, Jésus lui donne pouvoir ici-bas, jusqu'à son Retour. Le Pape est le Successeur, avec les Evêques, de Pierre et des apôtres. Rappelons-nous baptisés, la célèbre adjuration de Saint Léon: "Prends conscience, ô chrétien, de ta dignité... Rappelle-toi de quel corps tu es membre, et quelle en est la Tête". La tête est le Christ et le Pape son Vicaire. Souvenons-nous aussi de cet événement unique trop peu médité où le Seigneur pose la question à ses disciples: "Qui dites-vous que je suis" (Mat. 16.15.19). Les disciples hésitent, formulent quelques réponses, mais Pierre répond: "Seigneur tu es l'oint, le Fils du Dieu Vivant" et Jésus reprend: "Heureux es-tu Simon Bar-Jona ! Car tu tiens ces paroles non de la chair et du sang, mais de mon Pére qui est dans les cieux. Et moi je te le dis, tu es Pierre et sur cette pierre je batirai mon Eglise. Je te donnerai les clefs du Royaume" Le pape hérite de cette Mission la plus haute ici bas pour annoncer l'Evangile. En cette semaine de l'Unité où j'écris ce texte, réalisons ce qu'est l'Unité pleine de l'Eglise qui est au-delà de l'union nécessaire, c'est cette Unité qui est primordiale. C'est l'Unité des Chrétiens qui fera le Salut du Monde.


     Quand on lit certaines demandes faites au Pape par des chrétiens mal informés ou qui n'ont pas eu la grâce de vivre toute la plénitude du Message du Christ et qu'on ajoute à celles-ci les revendications des scribes, on reste confondu de tant d'inconséquence... si le Pape, accédait à ces désirs, - ce qui est à l'évidence impossible - il ne resterait rien des Paroles du Christ. Rien de la Religion Catholique. En un sens, le christianisme n'est pas une religion, c'est avant tout un Message, une demande du Créateur à sa Créature, de l'amoureux qui court après son épouse, qui veut un peuple parfait en vue de son Royaume. Le Pape, en refusant de donner ce qui n'est pas en son pouvoir, revêt avec l'assistance de l'Esprit Saint une attitude prophètique. Car ce qu'il doit donner est l'essentiel du dépôt que le seul Sauveur Jésus lui a confié pour le Salut de tous.
Non le Pape Jean-Paul II ne va pas à contre-courant de l'évolution des mœurs et de la modernité. Il ne prêche ni une morale exigeante ni une certitude dépassée. Il préche la Parole libératrice du Sauveur, celle qui amène tous les peuples à vivre la Joie sans fin du Royaume, pour nous préparé, par le Père.


Georges Sauge

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