Une connivence fidèle...

Lettre d’Information N°1420 du Samedi 15 Mai 2004


      En son temps, le Cardinal Decourtray avait reconnu et regretté ce qu'il avait qualifié de «connivence» entre certains milieux chrétiens et le communisme. La connivence, dans sa définition première, signifie: fermer les yeux, c'est-à-dire complicité ou entente secrète. I1 faut bien dire que cette sorte de complicité entre chrétiens et communistes était réelle et portait de graves préjudices à l'Eglise et au catholicisme en général. Il n'est pas question ici de revenir sur les péripéties d'une époque difficile. Nous avions alors œuvré afin d'expliquer les raisons profondes de tels dérapages et, plus tard, d'en apaiser le malaise pour le plus grand bien de l'Eglise.


     Cependant, depuis quelque temps, je suis surpris de lire dans certaines parutions chrétiennes, des analyses curieuses des « oublis » surprenants des textes ambigus; de cela, j'en ai quelque fois rendu compte dans «La Lettre d'Information», fort prudemment, ayant le souci d'éviter toute querelle interne toujours préjudiciable à la sérénité qui doit accompagner l'action de tous ceux qui témoignent du Christ. Aussi, suis je très peiné par la lecture de «Témoignage Chrétien» dans son n° 3105 daté du 22 avril 2004. Peiné bien sûr, parce que j'ai colporté sous l'occupation Nazie, ses premières feuilles, peiné parce que j'ai connu son fondateur et aussi ceux qui ont pris sa suite. Certes, nous n'étions pas toujours d'accord sur bien des orientations, sur des interprétations mais le contact fut souvent fraternel. Pendant un temps, j'ai même participé au conseil de rédaction hebdomadaire du journal où j'assurais le «billet liturgique». Aussi je suis sidéré, par la teneur du numéro 3105 lequel présente en première page couleur, Madame Marie George-Buffet, secrétaire nationale du Partie Communiste avec en titre: «Sauvera-t-elle le P.C. ? ». Dans les pages intérieures qui suivent, une longue analyse de son ouvrage: «Un peu de courage» où Marie-George Buffet résume, avec aisance et adresse, la situation dans le monde et surtout en France, en montrant le passé quelquefois fort regrettable mais aussi l 'avenir possible basé sur la signification du mot communisme. Avant de poursuivre, je pose une question. T.C. oserait-il la même présentation pour un parti fasciste français déclaré sous ce nom de fasciste ? J'avais, dans un «Edito» assez récent, posé la même question à un journal du soir lequel présentait une vieille dame très digne et de grand idéal qui, à vingt ans, en 1939 avait rejoint le Parti Communiste et qui lui était restée très fidèle. J'avais donc posé la question: et s'il s'était agi d'une vieille fidèle du fascisme Italien, aurait-elle été qualifiée de dame de grand idéal ? Sûrement pas et avec raison. Et c'est bien ce que je redoute et qui constitue la gravité du sujet: Le Parti Communiste dans la perspective qui nous occupe est différent du fascisme, le communisme n'est pas rejeté au même titre qu'est rejeté le fascisme.


     Une telle prise de position est une connivence grave, surtout lorsqu'on s'intitule Témoignage Chrétien. Que les lecteurs habituels ne soient pas choqués est peut être compréhensible mais nombre de chrétiens et bien d'autres risquent d'être trompés par l'ambiguïté d'une telle présentation. D'autant plus que ce même numéro lance un appel pour le Nouveau Témoignage Chrétien, appel particulièrement à certaines personnalités chrétiennes d 'ouverture, conviées à se joindre à une liste de signataires connus. Bien sûr, toutes précautions de langage sont prises, les rédacteurs de T.C. sont des journalistes chevronnés, de bons routiers de la formule, on affecte même d'être un peu réticent quant à la renaissance du Communisme et Marie-George Buffet, pour sa part, accepte de tordre le cou à la langue de bois qu'on peut ranger - dit-elle - dans les vieilleries du communisme. En fait la secrétaire nationale du Parti Communiste s'exprime, pour les oreilles affinées, comme une communiste conséquente, une dialecticienne confirmée, une tacticienne subtile. Son langage qui ne veut plus être de bois demeure celui de l'initiée. Depuis ma lecture du T.C. n° 3105 j'ai écouté Marie George Buffet sur LCI expliquer à Anita Hauser que pour analyser correctement une situation actuelle il importe de remonter aux sources, par exemple aux sources des intégrismes. Fort bien, tout est là, c'est ce qui avait retenu mon attention curieuse quand j'ai lu son chapitre, toujours dans le même T.C., intitulé «Reconstruire le Corpus idéologique». Au moins voilà, m'étais je réjoui, un langage intellectuel nouveau, prometteur, on va remonter aux sources, apprendre enfin ce que signifie le mot communisme, découvrir son contenu, sa nature. Quelle déception ! Seul est évoqué le regret d'avoir commis des fautes, puis une idée insolite affleure l'analyse: il faudrait imiter le PS des années 1970 et être un nouveau laboratoire d'idées. Point. Et l'on retombe dans les thèmes habituels de l'actualité.


     Mais, soudain on sent poindre la révolutionnaire, celle qui applique les leçons de Dimitrov, lequel fut chargé d'étudier le phénomène alors nouveau du fascisme dès 1935. Or, la situation du PC est comparable à celle du temps de l'émergence du fascisme. Ce thème fondamental fut étudié lors du VIIéme congrès mondial de l'internationale communiste le 2 août 1935. De même que Dimitrov à cette époque savait que la prise du pouvoir dans le monde était encore lointaine, il précisait qu'actuellement nous ne proposons pas le front unique pour proclamer la dictature du prolétariat. N'est-il pas vrai - poursuivait-il – que pour l 'instant ce n'est pas cela que nous proposons. Marie-George Buffet retrouve le même langage, les mêmes accents tactiques que jadis Dimitrov: «Une lutte révolutionnaire -dit-elle - est une lutte qui doit prendre en compte aussi la défense de la planète. Nous ne l'avons pas toujours fait parce que nous pensions que la question essentielle était la prise du pouvoir par la classe ouvrière et qu'à partir de là tout serait réglé ». Ces paroles écrites sous la rubrique écolo, révèlent une perspective, pour qui sait lire, qui dépasse de beaucoup le rêve des écolos. Marie--George Buffet sait très bien qu 'en ce moment il n'est pas question de songer au pouvoir mais de reprendre la tête du mouvement révolutionnaire, la théorie n'apparaissant que plus tard; pour l'heure, « l'école » étant réservée au cadre étroit des révolutionnaires professionnels, lesquels, comme la théorie, sont en cocon. Lénine aimait citer cette phrase de Goethe dans son Faust: «Souviens-toi, mon ami, que la théorie est grise, ce qui est vert, c 'est l 'arbre éternel de la vie».


     A propos des sources vers lesquelles on devrait remonter lorsqu'il s'agit des autres, tel le fascisme, il serait bon que les communistes s'expliquent sur les leurs, de sources. Ou bien le communisme n'a plus rien à voir avec Marx, Lénine et Trotski et le mot même de communisme est obsolète, ou bien, pour l’instant, on se contente du langage bourgeois pour l'agitation. Je note également qu'on retrouve le même esprit lorsque l'on célèbre le centenaire de l'Humanité, fondée par Jean Jaurès. Jaurès n'aurait jamais accepté de suivre Lénine, ni que l'Humanité devienne l'organe du Parti Communiste. On évoque également l'histoire du Parti depuis sa fondation jusqu'en 1939. En d'autres cas, on parle du parti depuis 1943. Biens sur, le coup du Pacte Germano-Soviétique pèse lourd, très lourd. On préfère parler de mutation. La bonne volonté des militants du P.C. n'est pas en cause, leur générosité militante encore moins, mais tous les militants ne sont pas des dialecticiens, ils sont trompés, trompés par une idéologie criminogène en tous points comparable à l'idéologie nazie où beaucoup, là aussi, furent trompés.


     Aussi, quand on se présente sous le beau titre de « Témoignage Chrétien » on n'a pas le droit à la connivence de quelque horizon qu'elle se réclame. La Nouvelle Evangélisation que nous propose le pape est une cause suffisamment puissante que nous devons d'abord servir. Si des braises d'idéologies fument encore, il n'appartient pas aux chrétiens de souffler dessus. Mais, sont-elles mortes ? Comme nous le disions autrefois, à T.C.: « Vérité; Quoi qu 'il en coûte ».


Georges Sauge

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