L'Europe et le Monde

Lettre d’Information N°1423 du Samedi 16 Octobre 2004

     Pour traiter convenablement de ce sujet, aujourd'hui plus pressant et fondamental que jamais, il convient d'estimer au plus juste l'état des sociétés qui peuplent et l'Europe et le Monde. La liturgie de ces dernières semaines nous trace un tableau brutal de l'humanité. Les catholiques ont pu apprendre ce que, il y a quelque huit siècles avant la venue du Christ sur cette terre, le prophète Amos constatait:
"Ecoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre pour anéantir les humbles du pays, car vous dites: "quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ?... Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le malheureux pour un peu d'argent, le pauvre pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu'aux déchets du froment" (Am. 8, 4, 7.)


     Aussi, Paul, Apôtre des Nations, au nom du seul sauveur Jésus enfin venu en ce monde, s'adresse à Timothée dans sa première lettre: "Insiste avant tout pour qu'on fasse des prières de demande, d'intercession et d'action de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d'Etat et tous ceux qui ont des responsabilités, afin que nous puissions mener notre vie dans le calme et la sécurité, en hommes religieux et sérieux" (Tm. 2.1.8.).


     Rien n'a vraiment changé depuis Amos, le prophète pourrait, de nos jours, parler aussi crûment que de son temps. Chaque année, pour la rentrée politique, dans notre pays une messe est dite conviant les décideurs, ministres, sénateurs, députés, grands responsables industriels... La lecture de ces deux textes serait une occasion de constater leur malheureuse actualité, et donc d'agir en conséquence; également une invitation, pour ces décideurs, à se souvenir que le Christ est venu sur notre terre pour changer la face du Monde et ses tristes coutumes. A l'heure où l'on entreprend de construire l'Europe, laquelle doit aussi s'insérer dans un monde en pleine mutation, il conviendrait de réfléchir, avant toutes autres considérations sur ce qui est fondamental pour la paix universelle. Mais limitons nous, ici, à l'Europe.
L'Europe ? bien sûr. Nous, Français, comme nos voisins immédiats, sommes tous Européens. Longtemps cette Europe à la très longue histoire, comprenait plusieurs nations, ou plutôt des Patries. La terre des pères représentait le lieu où s'étaient épanouies des valeurs précieuses, vécues par des populations différentes mais unies par une civilisation commune. Cette civilisation débordait les Patries et établissait ainsi une même perspective de vie, de coutume; la diversité enrichissait l'unité. Il s'agit aujourd'hui d'être réaliste, bien que l'on puisse déplorer les pertes importantes d'hier. Maintenant il parait sage, étant donné l'évolution de la société mondiale, de dépasser le cadre national et de définir le cadre européen. Il n'est pas question d'abandonner mais de dépasser. C'est dans cette perspective qu'un référendum -s'il a lieu- intéressera prochainement les Français, à savoir si le peuple répondra oui ou non à l'entrée juridique dans l'Europe. En soi, la question est mal posée. Il ne s'agit pas de savoir si nous entrons dans l'Europe, nous y sommes depuis toujours, mais d'approuver ou non ce qu'on appelle la Constitution Européenne. Peut-être peut-on dire plus exactement "le traité constitutionnel". C'est alors que les opinions divergent. Les uns, voulant rester fidèles à un certain concept dit "souverainiste", s'unissent au nom de certaines gauches redoutant la mainmise sur l'Europe du capitalisme, surtout représenté par le capitalisme Américain. Les échanges sont souvent très vifs entre ces différents avis; aussi depuis certaines interventions, beaucoup se réjouissent qu'il y ait enfin débat sur un sujet d'une telle importance. L'arrogance de certains est insupportable; que l'on soit publiquement pour le oui ou pour le non, suppose échanges, avis, réflexions. Il importe aussi de prendre position en fonction du seul problème discuté et non d'adopter une position personnelle ou un choix de tactique politique étranger à la question Européenne. Pour ma part j'aurais souhaité que les socialistes élèvent le débat et décollent vers plus de hauteur.


     Certes, la situation pose problème et le catholique en particulier a raison d'être embarrassé. Pour les Français, la question de la laïcité, si spécifique à notre pays, complique encore les choses. Ce projet, appelons-le donc "traité constitutionnel" est laïque de toute évidence. Il a été élaboré par des juristes ou des politiques résolument laïques. De plus, les catholiques, souvent principaux rédacteurs de ce projet de constitution, pensent que la religion est une affaire personnelle et privée, ou même que toutes les religions se valent. Si j'ai bien compris un récent article de Henri Tincq dans le journal "Le Monde", celui-ci souligne la complaisance de certains milieux Romains, y compris celle du Pape envers les intégristes en leur permettant une messe en latin, mais semble regretter l'affirmation pontificale "Dominus Jesus" réaffirmant la suprématie du catholicisme. Comme beaucoup Henri Tincq est sans doute victime des prudences ambiguës d'une vieille éducation maintenant dépassée."le Christ Jésus est le seul sauveur". De fait, quelle que soit la réponse au référendum, que le oui ou le non l'emporte, il n'y figure aucune référence aux racines chrétiennes de l'Europe. Les demandes répétées du Pape Jean Paul Il sont ignorées alors que le prestigieux pontife représente dans le monde une puissance religieuse sans égale, la seule cohérente et apte par son expérience millénaire à apporter à l'Europe comme à toute la Terre, les bienfaits de l'Evangile. Peut être serait-il bienvenu de profiter d'une période qui s'ouvre aux débats comme aux réflexions, pour souhaiter que les Evêques Européens, d'une seule voix, prolongent les appels du Pape. "L'Europe violette" comme l'imageait notre défunt ami Charles Raymondon, témoignerait ainsi d'un passé chargé de valeurs essentielles garantes d'un avenir pleinement humain. L'Evangile est le pain de la civilisation.


     Qu'il soit utile et honnête de reconnaître à ce projet constitutionnel des "avancées", comme on dit, des progrès sur les anciennes élaborations, surtout dans les domaines du social et de l'économie, ainsi que la reconnaissance des apports des philosophies et des richesses religieuses, cette reconnaissance est évidente. Mais on ne peut bâtir un avenir réel et solide pour l'Europe en abandonnant ses acquis les plus fondamentaux, les plus précieux, les plus prometteurs d'un avenir fécond. Bien sûr qu'il est bon, surtout indispensable, de développer une Europe sociale et économique, mais au moins qu'elle ait une âme et une foi porteuses de Justice et de Pardon.. Ces vertus, l'Europe les cultive depuis plus de mille ans, les traces grandioses de travail et de beauté sont enracinées partout sur son sol arrosé du sang des martyrs et de la sueur des saints. Lorsque l'on applique la psychologie au social, comme à la sociologie, tous les maîtres à penser de ces différents domaines enseignent que pour fonder ou élaborer une entreprise historique, il faut vivre en grand nombre une période de haute tension idéale, c'est à dire que l'enthousiasme doit précéder la raison, là ou manque la passion, le résultat est nul. II est opportun de se remémorer l'image biblique de la statue de la plaine de Doura. Le potentat de l'époque projetait son image dans une statue géante, tête d'or, poitrine de fer mais pieds d'argile. Sans ses racines chrétiennes mentionnées comme ses bases essentielles, l'Europe sans passion et sans attente évoluera sur des pieds d'argile. Et Christian Barbier dans "l'Express" déplore que Lionel Jospin, employant "un ton plus professoral que solennel, témoigne d'un européisme de raison et non de passion". C'est bien cela, répétons-le le fondamental qui manque.


     Quoiqu'il en soit, le devoir des Chrétiens est en Europe comme partout sur cette terre, d'évangéliser. L'ouverture ou le dialogue doivent être d'abord un aspect lié au souci de l'évangélisation.


     Europe, souviens-toi de Jésus Christ.


Georges Sauge

 

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