LES GRANDS JOURS D'EPINAY

Lettre d’Information N°1424 du Samedi 30 Octobre 2004


     Bien des amis et camarades se souviennent quelquefois avec nostalgie, de la période exaltante que fut celle du Congrès fondateur d'Epinay en 1971. Bien sûr, il n'est pas question ici de se complaire dans la mélancolie ou le regret mais enfin le rêve n'est pas interdit, il est même nécessaire à l'élaboration des grandes entreprises. Ce qui fait aujourd'hui difficulté, c'est le décalage qui sépare l'enthousiasme vécu et partagé à Epinay et le pénible engourdissement qui paralyse la gauche actuelle. Epinay fut symbole ou image de renouveau, d'ouverture, de modernité. Un souffle vivifiant, prometteur d'avancées bénéfiques, entraînait les militants vers l'action pour une citoyenneté conquérante. On se débarrassait du Marxisme comme seule base fondamentale du Socialisme, on acceptait, avec joie, que des milieux nouveaux rejoignent cette grande fête politique; car c'était bien d'un événement historique qu'il s'agissait.


     Que reste-t-il de ces prémices? La comparaison entre hier et aujourd'hui laisse un goût amer. Le Parti socialiste ressemble maintenant et ici à un Parti bourgeois où les grands commis supplantent les hommes politiques. Il est inutile d'ergoter, ce qui est arrivé au Parti socialiste c'est l'abandon de son regard vers le futur, de sa foi en les lendemains et, mieux encore, de son idée force alliant le possible à la plénitude du mythe: La rupture avec le Capitalisme exploiteur. Comment ne pas se souvenir du tonnerre d'applaudissements lorsque François Mitterrand, solennel comme le tribun Romain sur les rostres, proclamait: «Celui qui ne consent pas à la rupture avec l'ordre établi, avec la société capitaliste, celui là, je le dis, ne peut pas être adhérent au Parti socialiste». Le drame du socialisme, pas seulement en France, est une lutte, laquelle dérive en affrontements entre deux tendances internes d'origine: celle des Guesdistes et celle des Jauressistes. Le guesdiste est encore de nos jours partisan du Marxisme dur avec un but de conquête. Le jauressisme est le socialisme du possible et du réformisme. Et, ce qui est à redouter dans un tel contexte est arrivé: Pour conquérir le pouvoir il est impératif d'être guesdiste, d'entraîner vers la Rupture, puis le pouvoir enfin conquis, on fléchit, face aux difficultés multiples du gouvernement, avant de s'affaisser, comme au congrès de Dijon dans un vague socialisme réformiste du possible.


     Il est bon et à propos de remarquer que c'est aux jours des promesses d'Epinay, jours où l'on parlait de rompre avec une société dépassée et enfin d'en finir avec l'exploitation des travailleurs et les misères des pauvres, que des chrétiens entendirent cet appel du politique et optèrent pour ce combat. Aussi, l'heure de la déception est-elle difficile à vivre. De plus, je ne dis pas le socialisme, mais les socialistes n'ont pas su comprendre la signification de l'entrée des chrétiens dans leurs rangs. Ils ont apprécié grandement leur vote, mais petitement, très petitement, leur apport. Je ne parle pas ici de la Doctrine sociale de l'Eglise, bien que, personnellement je préfère la formulation "applications sociales de la "Doctrine de l'Eglise". Ce que le chrétien apportait, ou pouvait apporter, au socialisme était un enrichissement de l'humanisme, en lui insufflant des valeurs nouvelles telles la grandeur de l'homme, considérée dans sa nature profonde et totale, le Pardon indispensable à la vie en société, surtout en une période qui tend à la mondialisation, alors que cette société vit en fait la troisième guerre mondiale. Enfin, le chrétien apporte la valeur essentielle de l'Attente, celle-ci n'est pas révélée par le Marxisme, où il ne s'agit que d'une pseudo attente, d'une incertitude permanente, rétrécie à la seule évolution de la matière, de l'inférieur au supérieur, devenue pensante par un phénomène de saut qualitatif, assez pauvre par son explication savante. L'Attente du chrétien n'est ni incertitude, ni espoir mais certitude donc Espérance. Contrairement à une opinion trop répandue, les gens de gauche, surtout au sein de la jeunesse, sont au moins aussi sensibles au Message du Christ que les gens d'en face. Ces derniers n'ont souvent rien compris ni à leur religion chrétienne timidement évoquée, ni au socialisme. L'un d'eux, récemment, répondant à Laurent Fabius, à propos du référendum européen, déclarait: «Le socialisme dans un seul pays, on a pas mal entendu ça depuis 1917». Preuve de l'ignorance philosophique et politique de cet ancien Commissaire Européen, le "socialisme" de 1917 n'est pas le socialisme vrai, qui n'a rien à voir avec le Léninisme. Au demeurant, et pour en rester à notre propos, "le Socialisme" dans un seul pays n'est dans la vision du Marxisme-Léninisme qu'un moment transitoire, une étape vers un devenir, une Attente Historique vers une société parfaite.


     Voilà, une signification de l'option des chrétiens pour le socialisme aux jours d'Epinay. Mon regret est que trop peu de laïques catholiques, aient perçu l'ampleur et les chances du Congrès d'Epinay. Discerner les temps est une attitude Paulinienne indispensable à l'action des catholiques. Quant aux socialistes, dans la confusion actuelle qui règne en leurs rangs, engoncés dans leurs tendances multiples, leur attitude est claire: chassez le naturel, il revient au galop. Et ce naturel, après un essai positif à Epinay, c'est l'antireligion, l'anticléricalisme, déguisés en principes républicains et habillés de laïcité humaniste. Comment voulez-vous, amis socialistes, que les catholiques vous rejoignent: vous leur assenez, par tous les moyens de la propagande, que leurs apports les plus fondamentaux sont réactionnaires et un retour à un passé révolu; vous acquiescez donc aux bienfaits de l'avortement, du mariage homosexuel, de l'adoption des enfants par ces mêmes couples, d'une bioéthique funeste, de l'euthanasie, et j'en passe. Le tout baigne dans une campagne outrancière et maladroite au sujet du racisme et de l'antisémitisme, sans oublier l'islamisme bien sûr. On voudrait rendre les français racistes qu'on ne s'y prendrait pas différemment. Laissons l'usage de l'odieux aux vieux groupuscules et aux jeunes imbéciles. Je rappelle que l'anticléricalisme est une faute comme les autres "anti". Quant au cas de la Turquie nous avons quinze ans pour en débattre, de grâce qu'on s'occupe de l'immédiat, des pauvres, des chômeurs, que la société se penche sans retard sur les gens du Sud qui meurent de faim, de persécutions, de maladies, toutes choses source de Révolte, qui sont plus urgentes à traiter, pour l'avenir qui s'annonce menaçant, que les sempiternels colloques sur la santé, les dangers du sucre, du sel, du vin, du tabac, de la vitesse, de la fréquence des relations sexuelles, de la distribution des préservatifs dans les écoles... Tout cela est intéressant, mais tout de même décollons, allons vers le haut.


     Cela dit, je rassure mes amis ! je reste à gauche, fidèle à mes options, j'en suis plus libre pour dire ce que je pense et justement je pense que les socialistes s'évertuent à persuader les électeurs chrétiens de gauche de voter ailleurs... Réfléchissons ensemble, avec sérieux, sur le moyen de régénérer la gauche en lui rappelant ses racines enfouies dans la joie des grands jours d'Epinay. Et ces racines plongent dans la sève chrétienne, n'en déplaise à certains.


Georges Sauge

 

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