Un Essai qui dérange...
Lettre d’Information N°1425 du Samedi 20 Novembre 2004
Il est bien évident que le livre de Nicolas
Sarkozy est un gros pavé dans la mare. Son livre, dont on n'a pas fini
de parler, dérange le monde de tous horizons politiques et religieux.
Il faut bien avouer que cet essai d'un homme aussi en vue, est un chefd'oeuvre
d'habileté et de savoir. Il est très difficile de contredire cet
écrit qui s'avère à la fois comme une thèse et comme
une sorte de manifeste. Il témoigne d'un travail précis, intelligent
qui, de plus, affronte un tabou de la société française:
la laïcité. Cet ouvrage s'intitule: « La République,
les Religions, L'Espérance ». Ce qui domine dans ces pages, c'est
la clarté, le style direct, disons le : le parler vrai. Sans complexe,
l'auteur, encore ministre de l'économie et des finances au moment de
la publication de ce livre, traite des religions et, surtout, des rapports de
celles-ci avec la politique, la démocratie, et aborde la conception de
la laïcité à la française, élaborée
en 1905 par la 3ème République. Son analyse des religions est
intéressante, il connaît son sujet. Nicolas Sarkozy s'avoue de
culte catholique, et plutôt pratiquant. Cependant -je ne sais s'il en
conviendrait- je crois discerner dans son propos un certain scepticisme. Quoi
qu'il en soit, son analyse de la religion Catholique est bonne; les remarques
qui sèment la trame de son propos sont justes. Ainsi il déplore
la platitude de certaines homélies, il comprend difficilement qu'un prêtre
traitant un sujet d'une telle grandeur l'affadisse par un exposé très
banal. Plus amusant, il se dit surpris par la visite d'un archevêque au
ministère de l'intérieur et des Cultes, lequel se présente
en blazer et cravate rouge... Sans doute ce prélat rêve-t-il d'une
ceinture rouge, une cravate violette serait plus appropriée. Enfin, je
n'avais jamais entendu dire que le nonce apostolique était le chef de
l'Eglise de France.
Plus sérieusement, il semble que Nicolas
Sarkozy, sensible à la grandeur du culte, mais surtout attentif à
la recherche de l'homme tourmenté par des questions aussi essentielles
que l'origine de la vie et de ses fins dernières, est persuadé
que cette inquiétude permanente, même chez l'incroyant, est plus
importante que les problèmes liés au politique ou au social. D'où
sa conclusion: il faut repenser la laïcité telle qu'elle fut conçue
en 1905. Après une laïcité combative il faut, maintenant,
définir une laïcité positive attentive aux religions. En
ce qui concerne l'opinion de l'auteur sur la religion Catholique, on peut le
suivre, mais, comme beaucoup de catholiques de tradition et de formation, il
retient davantage la recherche du salut personnel, de la morale, du culte, que
de la puissance universelle de l'Eglise qui est l'humanité vraie, tournée
vers l'attente de Retour du Sauveur. Cette attente est l'Espérance. En
bref, la mission Prophétique de l'Eglise, le moteur déterminant
de la Parousie ne sont pas évoqués, on en reste au royaume intérieur.
C'est la pensée comme le style du célèbre François
Mauriac que je retrouve dans cet ouvrage et ce n'est pas un mince compliment
fait à l'adresse de Nicolas Sarkozy. Pour Mauriac, l'Eglise n'est qu'un
moyen de sanctification de la personne, ce qui n'est déjà pas
si mal Mais, par ailleurs, sur le plan de la société, Mauriac
souhaite sauvegarder l'autonomie du plan humain naturel, et le défendre
contre l'invasion du sacré. Comment oublier l'enthousiasmante évocation
de l'Eglise du philosophe Cournot anticipant ce monument de la pensée
et de la foi qu'est l'Encyclique de Jean Paul II "Veritas Splendor"
« La religion que nos pères nous ont transmise n'est pas une religion
comme une autre. Elle remplit dans l'histoire du monde civilisé un rôle
unique, sans équivalent, sans analogie. Les grandes lignes de l'Histoire,
voilà le vrai champ de bataille de l'apologétique chrétienne».
Sans cet aspect Eschatologique, le croyant risque de ne pas distinguer la totalité
du Message historique de l'Eglise et d'en rester à la notion rétrécissante
de la religion affaire privée, toutes les religions ayant un rôle
égal. Il est vrai que Nicolas Sarkozy déplore un manque de vigueur
au sein de l'Eglise, peut-être, mais il est vrai aussi que l'extraordinaire
travail accompli sur le plan caritatif comme sur le plan social est par trop
passé sous silence. L'oeuvre des missionnaires présents sur toute
la surface du globe est à peine mentionnée par les médias.
Cela dit, il est à souhaiter -ce que ne peut écrire un ministre-
un grand, très grand effort d'Evangélisation. Il faut Evangéliser,
proposer la Bonne Nouvelle, enrichir par le Baptême notre Eglise de "nouveaux
barbares". L'ami Boutefeu, autrefois converti de l'Anarchie, intitulait
ses conférences: «Je reste un barbare». Du vin nouveau pour
des temps nouveaux.
Pourtant, je ne suis pas le seul à faire
ce constat, c'est l'islam qui retient d'abord l'attention de Nicolas Sarkozy.
Certes, en tant que ministre de l'intérieur mais d'abord des Cultes dit-il,
a oeuvre pour donner aux milieux musulmans une consistance organique certaine.
Bien sûr, la suite dira si l'intention aboutira à des résultats
positifs. La gêne avec l'Islam est la difficulté d'interprétation
et, plus exactement, la diversité des interprétations. Notons
qu'un clergé réel n'existe pas, ce qui entraîne l'absence
d'organisation et de cohérence de langage. Il se peut que l'islam s'accomode
des lois de la République laïque, mais l'auteur aperçoit
la faille de la nature de l'islam quand il songe à actualiser la loi
de 1905. Ce qui en 1905 a été possible avec les Catholiques, ne
l'est pas forcément avec les Musulmans. Autrement dit ce qui a été
possible avec une France à 95% catholique, s'avère délicat
avec environ 5 millions de Musulmans... Avec candeur pourrait-on, de nos jours,
maintenant et ici, envisager d'exiler des musulmans révoltés ?
Nul n'envisage de recommencer ce qu'on répute avoir si bien réussi
autrefois. Je pense que Nicolas Sarkozy sait très bien qu'une minorité
agissante comme l'islamisme n'a rien à voir avec le précédent
français, il réalise, à juste titre, que, répétons-le,
l'Islam n'est pas le christianisme et son intégrisme est extrêmement
dangereux. L'Eglise de France n'a pas de spécificité propre, il
s'agit de L'Eglise qui est en France. Attention à l'expression l'islam
de France.
La lecture attentive de ce livre qui aura beaucoup
de retombées, dissimule, en fait -c'est du moins mon impression personnelle-
une visée politique ambitieuse. Que Sarkozy résolve ou non "l'affaire
1905", il est vrai qu'il apparaît comme l'homme politique se détachant
nettement du milieu représentant l'actuelle majorité politique.
Un peu comme Delanoé, qui semble émerger dans la gauche, Nicolas
Sarkozy rompt avec l'engourdissement politique actuel. La gauche ferait bien
de s'inquiéter, afin de ne pas se laisser dépasser. Sarkozy, par
ses analyses des religions, de la Démocratie dans le cadre de la République,
pose des jalons nouveaux dont il faut se méfier. Car en dépit
du bien qu'on est en droit de penser du style de son ouvrage, cet homme recèle,
en plus de son talent et de sa sagacité, la poursuite d'un rêve.
Il n'est pas le gaulliste classique d'une réalisation sociale ou politique,
il est, comme De Gaulle, l'homme cherchant à vivre une grande querelle.
Il peut devenir, ce que je redoute, même pour la liberté religieuse,
non plus un gaulliste assurant un héritage, mais un gaullien qui dépasserait
le maître. En fait, le rêve de Sarkozy est de muer du Grand Charles
au Petit Nicolas. Peut-être mes craintes sont-elles excessives? C'est
possible. Aussi bien, la lecture attentive de son livre révèle
un Sarkozy offensif, ambitieux avec en plus un toupet déconcertant. Ambigu
dans le langage, il est clair dans l'intention. La manière dont il se
distribue des bons points est surprenante. Il minimise presque son rôle
de ministre de l'intérieur au profit de son ministère des Cultes.
Il est le seul, dit-il, en plus de cent ans, à avoir pris au sérieux
ce que traditionnellement, au moins depuis 1912, ce ministère des Cultes
ajoute à celui de l'intérieur. Au point qu'à le lire, on
croit qu'il est encore non plus aux Finances mais à l'Intérieur
et au Culte.
Si les ministres de l'intérieur ont mis
en sourdine le ministère des Cultes, c'était par discrétion
afin de ne pas faire rebondir un certain passé douloureux. Que l'on souhaite
une approche pédagogique de la laïcité, comme ici même
nous l'avons fait récemment, est une chose. Le contexte comme l'intention
de Nicolas Sarkozy en sont une autre. De celle-là je me méfie.
La patte de velours est toujours à redouter. Ne
réveillons pas les vieux démons.
Et à Dieu demandons la paix pour notre
temps.
Georges Sauge
Nicolas Sarkozy- La République, les Religions, l'Espéranœ-
Novembre 2004 - Editions du CERF-