Le Christ, unique fondement de l'Eglise

Lettre d’Information N°1429 du Samedi 29 Janvier 2005


     Lorsque, vers la fin des années 1930, j'ai rejoint L'Eglise, la communauté qui m'accueillait, proclamait, par la parole et l'écrit: "L'unité des Chrétiens fera le Salut du Monde". A l'époque ce mot Unité était plutôt rarement prononcé dans les milieux religieux, on le confondait avec le mot union lequel semblait plus concret, plus compréhensible. De nos jours des progrès ont été accomplis dans ce sens, le mot est sorti du canon de la Messe pour être partagé par l'Eglise des fidèles; nous venons de vivre la semaine de prière pour l'unité des Chrétiens. Cette semaine de prière a pour thème: Le Christ, unique fondement de i'Eglise. Evidemment ce programme, proposé aux prières des Chrétiens, nous rappelle l'importance et l'actualité de l'oecuménisme. OEcuménisme vient d'une racine grecque, qui signifie "l'ensemble, le tout du monde se réclamant du Christ". Ce terme n'est pas nouveau pour l'Eglise, c'est son souci depuis ses origines, peut-être même -surtout depuis les premières hérésies- son souci majeur.


     Il est pourtant vrai, malheureusement, que depuis trop longtemps, le peuple fidèle n'était plus habitué à entendre parler d'unité et encore moins d'oecuménisme. Pendant une longue période le christianisme avait dérivé de l'essentiel vers un certain conformisme pratique plus soucieux d'individualisme que de communauté, pour beaucoup la religion était avant tout une morale. C'était l'Eglise de l'ordre. Certes, de temps à autre , un soubresaut venait secouer la pieuse apathie des catéchisés, un peu comme une éruption volcanique troublant l'harmonie du paysage. Les "coups de gueule" de Lacordaire secouant les milieux intellectuels étaient appréciés, ainsi que les encycliques d'un Léon XIII, annonciatrices des réformes ouvrières, les initiatives discutées d'un Marc Sangnier, et le si original Péguy et ses hardiesses. Tout de même, il faut bien en convenir, la vitalité de l'Eglise, son rayonnement étaient comme endormis. Il y avait bien eu les affaires de 1905, les lois de Séparation de l'Eglise et -de l'Etat, des catholiques s'étaient bien battus, cela restera à leur honneur, mais on en était resté plus à une bataille institutionnelle, qu'à un élan de foi...


     En fait c'est la montée des idéologies totalitaires du XXème siècle qui fit prendre conscience aux peuples chrétiens, de la place essentielle de la Religion dans les affaires du monde. Et le lancement de l'Action Catholique par le Pape Pie XI libéra les laïcs chrétiens qui purent opter pour les activités temporelles sans risquer l'inféodation à un parti politique. C'est alors que les chrétiens commencèrent à sortir d'une torpeur maligne et que la question: c'est quoi I'Eglise? prit de l'ampleur et de la consistance. L'Eglise cessait d'être considérée par beaucoup comme d'abord une institution, mais comme un peuple vivant sa véritable nature: le corps du Christ. Ce Message du Salut, apporté par le Christ et transmis suivant son ordre par les Apôtres jusqu'à nos jours, revivait et annonçait des temps nouveaux. Mais, comme souvent dans l'histoire, le Tentateur reniflant la possibilité d'une période faste pour l'Eglise, profila sa silhouette flatteuse et séductrice dans la société humaine. Car lui, le père du Mensonge, connaît la faiblesse des humains. Pie XI ne s'y trompa pas, fort de l'Esprit qui assiste tous les pontifes, il arracha le masque du Malin et alerta la terre entière d'une puissance infernale en marche afin de détruire les fondements mêmes de la Civilisation bâtie, principalement, sur les bases évangéliques. Mars 1937: Mit Brennender Sorge. Divini Redemptoris.


     On peut, aujourd'hui, déplorer tant l'apathie des décideurs de l'époque, que l'ignorance des chrétiens, c'est un fait que le pape ne fut pas suivi. Le monde entier paya très cher cette désinvolture. Le pape s'était adressé, comme le firent toujours les Papes, lors de circonstances graves, non seulement aux autorités publiques par voie officielle, mais aussi aux peuples de la première et seconde Alliance. Cependant, quelques uns reçurent ce message et répercutèrent au mieux de leurs possibilités l'inquiétude du Vicaire du Christ. Comme lui, ils crièrent et le désert se fit autour d'eux. Or, justement, en ces temps ou l'on prie pour l'Eglise et l'Unité, je me réjouis de la découverte d'un homme, un prêtre dont la perspicacité aurait dû dépasser les frontières de la confidentialité. Je veux parler de l'ouvre du Père Gaston Fessard S.J., traitant de l'Eglise et des idéologies. Oui, il existe des gens de très grande valeur, prophètes, visionnaires, des figures intellectuelles et spirituelles totalement ignorées; j'ai même envie de dire: curieusement ignorées et plus curieusement encore, ignorées en un moment de l'histoire où leur apport aurait pu être déterminant et bénéfique pour la paix du monde. J'ai, pour ma part, connu deux hommes dans ce cas: le Père Fessard dont on découvre seulement ces jours-ci la personnalité exceptionnelle, et le Père Marcellin Fillère S.M. qu'on découvrira sûrement plus tard et auquel je dois ma vie de chrétien. L'Eglise sait conserver ses trésors et les proposer à la foi des chrétiens lorsque les temps en ont besoin.


     Pour aujourd'hui je tenterai, en trop peu de lignes malheureusement, d'apporter cette contribution très modeste à l'évocation du Père Fessard qu'en font avec grande compétence, des témoins ainsi de son confrère le Père Michel Sales S.J.. J'ai eu le privilège de rencontrer le Père Fessard à différentes reprises, rencontres stupéfiantes, en particulier -ce que confirme le Père Sales- lorsqu'il se disait prophète: "prophète je le suis effectivement, car je crie dans le désert depuis des années". Et, c'est très vrai; "il est un des seuls intellectuels qui ait montré une égale lucidité à l'égard du double totalitarisme nazi et communiste". Je regrette de ne pouvoir traiter ici de ses travaux concernant la vie interne de la Compagnie. Son texte intitulé: "La dialectique des Exercices spirituels de St. Ignace de Loyola" apportera une richesse à une forme de spiritualité recherchée par des âmes exigeantes.


     Ce que je retiens, pour moi, d'essentiel, c'est son interprétation des raisons historiques profondes expliquant la réussite temporaire des idéologies. Pour lui, une part de l'explication remonte à la Révolution Française. Le rationalisme, essence même de la Révolution, s'exprime par la suffisance de la raison. Les révolutionnaires pensent que c'est la raison qui peut organiser l'histoire sans Dieu, sans Eglise et peut-être même en éliminant l'institution cléricale. La fleur de la Révolution c'est le libéralisme. C'est en même temps la naissance des nations et leur volonté de puissance. Les deux grandes idéologies du XXème siècle, communisme et nazisme émanent du désir des peuples de sortir du libéralisme. Il était inquiet et il en comprenait difficilement la cause, de ce que les milieux intellectuels affectaient de distinguer entre Nazisme et Communisme, l'un, le Nazisme étant plus pervers que l'autre, le communisme. En sa personne de prophète, le Père Fessard redoutait la cécité permanente, souvent due à l'ignorance, de la société et de ses responsables, de la nature criminogène des idéologies. Dès la mort de Staline, il entrevoyait un pseudo déclin du communisme et plus encore, peu avant son décès, une mue possible des idéologies. Il ne faut pas croire que les grandes idéologies sont mortes. Notre famille spirituelle est du même avis. Nous redoutons une résurgence aggravée des idéologies d'autant plus que les opinions publiques, comme les courants politiques dominés par le matérialisme, sont déjà désarmés face à une possible éclosion infernale. Le Père Fessard se souvenait aussi, en souriant, qu'en 1972 la commission épiscopale du monde ouvrier avait publié un texte pratiquement marxiste en contradiction avec la lettre apostolique de Paul VI Octogesima Adveniens. Il réagit dans deux revues mais son article ne fut pas accepté...


     Il avait raison le père Fessard d'insister sur la formation des laïcs. En période où le dialogue tend à se généraliser, cette formation est essentielle. Sans revenir sur la déclaration de 1972, évoquée plus haut, il faut tenir compte d'un précédent grave: celui de la connivence avec le Marxisme et peut-être pas, par la seule ignorance... Peu après la mort du Père Filière, le Père Fessard était très intéressé par l'aspect Eschatologique de lEvangile, aspect fondamental. Or, c'est cet aspect qui est l'objet, pour la première fois dans l'Histoire, de la concurrence maligne imaginée par le Communisme et dans une autre perspective par le Nazisme - la mystique de l'attente- sorte de Parousie à l'envers; attente du paradis sur terre non par un changement politique mais par un saut dialectique de la matière motivant un changement de nature de la société. Là, gît peut-être la forme de la future subversion; une société sans classe comme divinisée par la matière pensante.
     Aspect consolant rappelé par le Père Fessard (Ep. 2-15) «Il a voulu à partir du Juif et du Païen, créer en lui un seul Homme nouveau et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul corps au moyen de la Croix».


     Le Christ est l'unique fondement de l'Eglise.


Georges Sauge

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