Enquêter à gauche


Samedi 5 Novembre 2005, Lettre d’Information n°1441


     Il est extrêmement difficile, dans les circonstances actuelles, de traiter convenablement ce sujet. Cette entreprise -car c'en est une- suppose une description de la gauche comme un survol en se limitant à la Gauche française. Nous nous trouvons avec le mot "française" face à la première difficulté: La Gauche dans sa définition politique ne concerne pas la seule situation française. Toutefois avant d'aborder l'ensemble du fait politique mondial, tentons d'examiner celui de notre pays.


     Des années trente aux jours d'Epinay-sur-Seine en 1971, la gauche était dominée par le Parti communiste. Celui-ci. depuis le congrès de Tours en 1920, avait rallié l'Internationale Communiste Révolutionnaire, laissant le Parti Socialiste opter pour le Réformisme. Ces deux partis constituèrent, depuis 1920, la colonne vertébrale de ce qu'on appelle la gauche. On ne saurait omettre. en toute justice, le Parti Radical et quelques formations bien oubliées, telle celle, déjà Trotskiste de Marceau Pivert. Mais. soyons clairs, c'est un fait que jusqu'au Congrès fondateur Socialiste d'Epinay, le souffle du P.C. drainait, appuyé par la toute puissance de l'U.R.S.S., et par les milieux "intellectuels" de l'époque, une grande partie de l'électorat. Si bien que, sans être une courroie de transmission du P.C., comme certains le suggéraient. le P.S. faisait figure de "petit frère". Les milieux ouvriers. organisés et encadrés par des syndicats puissants comme la C.G.T., étaient les seuls à recevoir une formation politique assurée par le Parti Communiste. Il faut savoir que le P.C., parti de minorité agissante, laissait la masse du peuple dans des organisations syndicales, professionnelles ou culturelles. organisations appelées, fort justement. "courroies de transmission".


     Epinay fit le tournant fondamental pour le Parti Socialiste. Sous l'impulsion de François Mitterrand, le P.S. accepta une révision profonde de ses bases politiques: Le Marxisme n'était plus la seule base du Socialisme, il affirmait la recherche d'une rupture avec le Capitalisme, un approfondissement des questions sociales cruciales en faveur des classes laborieuses, l'ouverture à tous ceux qui désiraient rejoindre une formation nouvelle, libre et populaire. Au risque de me répéter, je regrette personnellement qu'on ait accepté le vote des chrétiens sans se soucier de leur apport. Un grand élan était donné; le milieu ouvrier, longtemps conditionné par une propagande savante était comme prisonnier d'une structure. En dehors du P.C. rien de dynamique, d'actif. d'enthousiasmant. A partir des jours d'Epinav. lentement la masse populaire fut libérée, elle avait enfin la possibilité de choisir en dehors du seul P.C.. Le recul de celui-ci s'amorçait, et la libération venait de la gauche Socialiste et non de la droite. Les beaux jours, après la mort de François Mitterrand. s'embrumèrent de plus en plus et le 21 avril 2002 fut le coup terrible qui fit vaciller le Parti Socialiste.


     Lionel Jospin, alors premier ministre et chantre du Parti, démissionna immédiatement et définitivement de la vie politique. dit-il. A mon avis ce fut son erreur: qu'il ait provisoirement cédé sa place est dans ce cas compréhensible. mais le "définitivement" fut une faute qui l'oblige maintenant à des contorsions pour justifier son éventuel retour. Bien que certains disent qu'il maintiendra sa position première. C'est très possible. Toutefois la parution de son dernier livre: "Le Monde comme je le vois" ne donne pas une impression de retrait. Sans être un fan de Lionel Jospin, je pense que. dans les conditions actuelles, il est le seul pouvant tenter une remontée du P.S. en vue des élections de 2007. L'analyse qu'il fait de la situation mondiale, de l'état de la société. comme de l'impact du non à la Constitution Européenne, cette analyse est bonne. Il fallait l'unanimité des vingt-cinq pour rectifier le traité, elle n'a pas été obtenue, ce traité est donc caduc, souligne Lionel Jospin, qui regrette ce vote, car il a voté oui comme la majorité du P.S.. II comprend et explique les faiblesses de ce référendum, aussi éclaircit-il quelques questions qui firent difficulté, le point de vue national en particulier: "Justement, disons-le haut et clair, écrit Lionel Jospin, la construction européenne n'efface pas l'État-Nation qui n'est pas une figure obsolète". "Il n'empêche qu'il n'y a pas un peuple européen mais des peuples européens". Ce langage reste classique, sans nouveautés sensationnelles, mais il tranche par son ton avec les prétentions multiples d'éléphants essoufflés qui se disputent un parti sans idées ni propositions et qui apparaît, pour l'opinion. comme un parti risquant de tomber en quenouille.


     A la gauche de la gauche, un Parti Communiste diminué qui s'allie avec une nouvelle racine entée sur le Marxisme fondamental. Car le Marxisme et Marx ne sont pas oubliés, le livre "Karl Marx" de Jacques Attali appelle des commentaires, ce que nous développerons prochainement. La difficulté du moment, en ce qui concerne cette fraction de la gauche, est la mutation du Marxisme-Leninisme vers un Trotskisme adapté au monde moderne. La mondialisation et l'emprise du Capitalisme, momentanément vainqueur, obligent le Communisme à la condition de "cocon"; il doit taire ses objectifs réels et subsister par la tactique de la "cadence" ou s'embourber dans "la bouillie économique". Mais il faut se garder de cette apparente défaite, son idéologie transpire. Des signes significatifs prouvent une existence puissante aux aguets. soutenue qu'elle est par une activité internationale Marxiste que les décideurs d'aujourd'hui ne distinguent pas d'avantage que leurs prédécesseurs des années trente.


     La puissance expansive de la Chine, comme de l'Inde, leurs manoeuvres militaires -Russie comprise- sont des faits qui font redouter les jours ou ce bloc s'éveillera. Prenons aussi comme importants et significatifs des faits moins spectaculaires que ceux énumérés plus haut, par exemple le refus de Poutine d'accepter les propositions de représentants de l'Europe au sujet des conséquences dramatiques pour l'humanité des crimes imputables au communisme Russe et Chinois. Poutine maintient le passé du communisme pendant que des envoyés Chinois s'en viennent chez nous, en la bonne ville de Montargis, célébrer l'Ecole où le Parti Communiste Chinois a préparé son essor en Chine et plus loin dans les pays limitrophes.


     Qu'aurait-on dit si des Nazis déclarés étaient venus en pèlerinage dans une ville française pour célébrer un événement de cette importance. J'entends d'ici le tollé, plus que légitime, qu'une telle démarche aurait provoqué. Ce qui prouve, une fois encore. que le communisme n'est pas considéré comme égal, en idéologie criminogène, au Nazisme. Un petit fait significatif, ou qui peut l'être: Lors d'un débat assez vif avec Marie Georges Buffet, Maxime Gremetz "vieux bolcho" au lieu de dire: "le Parti" a dit "l'Appareil". Lapsus? Quand on sait ce que, dans le langage de "révolutionnaires professionnels", ce terme signifie, on peut bien sûr trouver cette erreur amusante. Elle peut aussi être révélatrice, donc inquiétante.


     En résumé comme nous l'expliquons depuis longtemps, la gauche, celle que représentent ses deux forces principales la socialiste et la communiste, ont à résoudre de difficiles problèmes: Les Socialistes doivent concilier deux concepts. celui de Jules Guesde, la révolution et celui de Jean-Jaurès, la réforme. Les Marxistes le passage, en observant le principe de la cadence, du Leninisme au Trotskisme. Leurs difficultés internes résident dans le fait que pour des raisons d'opportunités politiques et psychologiques, ils ne peuvent pas pour le moment, aborder le problème fondamental de la théorie, d'où leur stagnation dans la seule "bouillie économique". Cela concerne plus spécialement les gens de Marie Georges Buffet et ceux d'Olivier Besancenot. Difficile pour eux de déboucher sur une idée force qui tire vers le haut. Pour ce faire, la gauche devrait se libérer totalement des vieilles références idéologiques et proposer clairement un projet tonique et charpenté. Une alliance avec ceux qui traînent, malgré une prudence constante, les drames d'hier, serait désastreuse pour l'avenir de la gauche. Dans cette perspective, il ne faut pas confondre l'Utopie et le Mythe. L'Utopie est irréalisable et desséchante. Le Mythe est l'ouverture, l'attente d'un avenir libérateur. l'attente nécessaire à l'homme; une société qui n'attend plus amorce sa décadence. Mais le mythe doit être greffé sur la recherche de la Vérité dans sa splendeur. Cette Vérité existe, compatible avec la laïcité vraie. La pierre d'angle de la civilisation humaine, c'est Dieu.


Georges Sauge.

 

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